Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
En lisant l’interview de S.E. l’ambassadeur de France Gilles Garachon en Thaïlande, in « Le Petit Journal » du 18 novembre 2016 ».*
Il nous a paru intéressant d’apprendre, à l’occasion d’une interview, comment S.E. l’ambassadeur de France Gilles Garachon en Thaïlande, présentait les relations franco-thaïes de l’année 2016.
Ceci d’autant plus que nous avions commencé notre blog en 2011, sur les relations franco-thaïes que nous avions traitées en 32 articles, dont l’un, était une lecture critique du site officiel de l’ambassade de France sur le sujet.** (Cette présentation historique est d’ailleurs identique en 2016***).
Le langage diplomatique a ses rites qui n’interdisent nullement d’utiliser des mots fleuris pour rappeler en toute courtoisie la réalité historique.
Nous étions d’autant plus curieux que nous avions alors constaté quelques omissions importantes, comme le départ forcé des Français après la « Révolution » de 1688, consécutive peut-être pas à une volonté de « coloniser » le Siam au sens où nous l’entendons aujourd’hui mais à une tentative de conversion religieuse plus ou moins forcée du Siam tout entier fort mal reçue de la population et du clergé sous le prétexte plus ou moins fallacieux que le roi Naraï aurait eu de rejoindre la religion catholique. Il fut suivi de la répression sanglante des missionnaires, et de l’expédition « punitive » de Phuket commandée par le général français Desfarges ;
Ou encore l’omission du traité signé par Rama IV de 1867 par lequel il reconnaissait la suzeraineté de la France sur le Cambodge et conservait les provinces frontalières de Battambang, Sisophon et Siem Reap. Les troupes françaises et leurs canonnières étaient présentes en Indochine depuis l’annexion forcée de la Cochinchine en 1862 et, profitant de cette occasion, le roi du Cambodge, incontestablement tributaire du Siam, avait choisi de se placer sous « la protection » de la France pour échapper à celle de son puissant voisin, s’imaginant gagner au change, erreur funeste… Les Khmers mirent quelques temps à s’en apercevoir… Un « traité d’amitié » qui était de toute évidence un traité inégal comme on en concoctait à cette époque.
A ces oublis s’ajoutaient des expressions diplomatiques savoureuses comme par exemple le verbe « accepte » dans la phrase « En fait, sur pression également des Britanniques, Rama V « accepte » en juillet 1893 le protectorat français établit sur le Laos. », pour ce qui était un ultimatum lancé par Pavie le 20 juillet avec réponse imposée dans les quatre jours, après que les navires français, l’Aviso, l’Inconstant, le J. B. Say et le Comète eurent forcés le blocus mis en place par les Siamois à « Paknam » sur le Chao Praya. Ultimatum que le roi Rama V avait accepté sans conditions le 29 juillet et qui avait débouché sur un traité en 10 articles, signé le 3 octobre 1893 sous la menace des canonnières françaises. le Siam abandonnait sous la contrainte les immenses territoires tributaires du Laos, rive gauche du Mékong et partie de territoires de la rive droite, la province de Sayaburi, les îles du Mékong et une démilitarisation d’une bande de 25 km le long de la rive droite qui revient à une colonisation sournoisement déguisée puisque ni troupes ni forces de police siamoises n’ont le droit d’y intervenir. (Cf. Nos article sur Le traité de 1893 ****).
Le traité de 1907 avait eu droit à une présentation plus réaliste, ne cachant pas « 14 ans de négociation mouvementée » ; et l’ultimatum, signé « sous la « contrainte coloniale » des deux superpuissances franco-anglaises. Le Siam abandonnait cette fois à la France les trois provinces de Battambang, Sisophon et Siem Reap que lui avait laissé le traité de Napoléon III 40 ans auparavant.
Nous passerons sur l’erreur qui annonce deux visites d’Etat en 1897 et 1907 du roi Rama V en France, alors que son second voyage de huit mois, du 27 mars au 6 novembre 1907 en Europe, était une visite privée. (Cf. Notre article 151*****)
Par contre ensuite, nous avions été choqués que la participation des troupes siamoises à la 1ère guerre mondiale, se réduisât à « l’honneur » qui leur avait été fait de pouvoir participer au défilé sur les Champs Elysées en 1918 (sic).
(« Le Siam envoie en Europe un corps expéditionnaire, qui vaut aux troupes siamoises de défiler sur les Champs Elysées en 1918. ».) (Signalons au passage que ce défilé avec les Siamois eut lieu le 14 juillet 1919.) Erreur ne fait pas compte !
Pour l’ « Entre les deux guerres », le site de l’ambassade se réjouit de la coopération militaire et « des relations culturelles étroites, dont témoigne le séjour à Paris de nombreux étudiants siamois », signalant « Pridi Banomyang, (qui) joueront ensuite un rôle très important dans le développement de la Thaïlande moderne. » L’humour n’est donc pas absent lorsque l’on sait que Pridi et Phibun seront les principaux acteurs de la Révolution de 1932 qui mettra fin à la monarchie absolue.
Ce sont les mêmes, tout au moins Pridi, qui lors de ce qu’il est convenu d’appeler la « résistance » à l’occupation japonaise, « résistance » qui n’a pas à son actif la moindre action militaire, laisseront, en fermant les yeux avec complaisance les parachutages massifs des anglo-américains dans la région de Sakon-Nakhon traverser le Mékong et être utilisés dans la guerre d’indépendance des indépendantistes du Laos contre les Français. N’ayons garde d’oublier Khuang Abhaiwongse, plusieurs fois premier ministre, fils du vice-roi chassé des trois provinces cambodgiennes de Battambang, Sisophon et Siem Reap rétrocédées à la France en 1907. Étroitement lié par le sang à la famille royale cambodgienne, il soutint toujours activement et ouvertement les mouvements indépendantistes anti-français.
Le « Pendant la deuxième guerre mondiale » est plus honnête et n’oublie pas d’évoquer les combats franco-thaïlandais et le combat naval de Koh Chang. (Cf. ******).
En effet, le Siam est alors entré en guerre ouverte contre la France. Il a certes perdu la bataille navale à Koh Chang, mais a incontestablement gagné les opérations terrestres et surtout au bénéfice de la pression diplomatique japonaise puisqu’il a récupérer partie des territoires perdus, point le Laos certes mais la province de Sayaburi, enclave injustifiée sur la rive droite du Mékong (autrement que pour de sordides motifs économiques), et les trois provinces cambodgiennes de Battambang, Sisophon et Siem Reap, un immense succès pour le Maréchal Phibun. Même après la défaite japonaise, les négociateurs siamois, issus pourtant du mouvement de « résistance » se bâtirent bec et ongle pour conserver à leur pays ce qu’ils considéraient non sans quelques raisons comme des territoires siamois. Las ! Il leur fallut céder pour que leur pays puisse être admis à l’ONU. (Cf. en note d’autres regrets.*****)
Ensuite pour l’ « Après la deuxième guerre mondiale » le site est peu prolixe et constate que « Les relations bilatérales demeurent ténues, même si, en 1960, Sa Majesté le Roi Rama IX et la Reine Sirikit se rendent en visite d’Etat en France » et signaler le 18 février 2006, que la visite d’État du Président (Chirac) de la République française en Thaïlande , « a constitué la première visite d’un président français depuis l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays en 1856. »
Curieusement le site s’arrête à cette date ! Il n’y aurait donc eu aucune relation franco-thaïe entre 1960 et 2006 ? Ni après 2006 ?
On peut pour le moins demander respectueusement à S.E. l’ambassadeur de France Gilles Garachon, de revoir cette présentation historique des relations franco-thaïes quelque peu tronquée, avec ses omissions, ses erreurs, et de la poursuivre au-delà de 2006. La matière ne manque pas. (Signalons que le site de l’ambassade énumère les visites bilatérales.)
Ce bref rappel des relations franco-thaïes (diplomatiques) aurait pu d’ailleurs commencer avec la 1ère ambassade siamoise de 1681 envoyée en France, et qui fit naufrage, suivie par une délégation siamoise comprenant le Père Vachet de 1684 et de son retour en 1685 avec la fameuse première ambassade dite de Louis XIV menée par le chevalier de Chaumont et l’abbé de Choisy, qui repartira avec l’ambassade siamoise de Kosapan qui reviendra avec la deuxième ambassade française, menée par Simon de La Loubère et Claude Céberet du Boullay en 1687, transportant 1300 personnes, dont 630 militaires commandés par le général Desfarges.).(Cf. Nos articles sur ces ambassades)
Ce n’est donc pas faire montre d’hostilité envers le pays qui nous accueille de rappeler que les rapports entre le Siam et la France ne baignèrent pas longtemps dans l’harmonie et ont été le plus souvent conflictuelles. (Ce que S. E. l’ambassadeur voit comme « des peuples amis de longue date » !)
Revenons à notre sujet : les relations franco-thaïes de l’année 2016, selon le point de vue de S.E. l’ambassadeur de France Gilles Garachon en Thaïlande.
On va bien sûr retrouver le langage diplomatique qui chacun sait, s’exprime toujours avec une hypocrisie intéressée, mais que l’on peut lire comme un code à double entente, mais qui – ici - n’épargne pas les lieux communs sur la gentillesse éternelle des Thaïlandais (On a échappé au « La Thaïlande, le pays du sourire »), le véritable attachement des Thaïlandais pour la France,
Un ambassadeur heureux de revenir dans ce « beau pays » et qui affiche une satisfaction très optimiste sur les relations franco-thaïes (économiques, commerciales et culturelles), malgré des résultats décevants qu’il déclare être bons.
Un ambassadeur sûr du rayonnement de la France, malgré le fait que la langue française a perdu son statut de seconde langue obligatoire dans les établissements secondaires en 2006, et a diminué depuis, considérablement le nombre de ses apprenants.
On se souvient d’ailleurs que le prédécesseur de son excellence, Thierry Viteau, vint prononcer une allocution devant les étudiants de la section de français de l’Université de Khonkaen (nous avons bien dit de français et non de Swahéli) en ………… anglais ! Bel exemple !
De même, on peut être choqué que l’ambassadeur de la patrie des droits de l’homme n’ose pas faire allusion à la nature dictatoriale du régime actuel (Avec l’atteinte à la démocratie, aux libertés publiques et à la liberté d’expression), ni même nommer le chef de la junte, même en termes diplomatiques. S. E. oubliant la déclaration solennelle du Président de la République François Hollande, lors du débat d’ouverture de la 67e session de l’Assemblée générale des Nations unies, le 25 septembre 2012 : « La France veut être exemplaire, non pas pour faire la leçon mais parce que c’est son histoire, c’est son message. Exemplaire pour porter les libertés fondamentales, c’est son combat, c’est aussi son honneur ». L’honneur aurait-il changé ?
S. E est toutefois obligé de reconnaître que ses moyens sont dérisoires et que cela limite ses actions.
Il est vrai qu’avec 132 bourses accordées en 2016, trois personnes au Service économique et une personne au Service culturel, on ne peut accomplir de miracles. Mais son S. E. garde le moral et reste optimiste et peut par exemple avouer que « Ces chiffres sont plutôt constants et peuvent paraître modestes mais sont considérables ». Modestes et considérables !
Reprenons plus en détails, au fil du texte, sur les principaux éléments de son propos.
1/ On commence dans le déclaratif quelque peu surprenant « Ce que je voudrais retenir de cette première année, c’est justement ce véritable attachement des Thaïlandais pour la France. La France, ses valeurs, sa culture, son histoire, son art-de vivre, comptent beaucoup pour les Thaïlandais. Et c’est réciproque. ». Nous avons rappelé ci-dessus ce qu’il en était de « ce véritable attachement des Thaïlandais pour la France. »
2/ On reste ensuite dans les généralités, le convenu. S.E. rappelle que son objectif unique est de « promouvoir dans tous les secteurs la France et nos intérêts » avec tous les acteurs français.
On aurait pu s’en douter et être informé sur les objectifs chiffrés de cette promotion espérée.
3/ Ensuite l’ambassadeur est prudent à juste titre, signalant effectivement un contexte différent qui s’annonce avec un nouveau roi, des élections législatives prévues dans un an, dont il faudra tenir compte.
Par contre, le représentant du pays des droits de l’homme ne dit rien sur le régime actuel. Les propos de Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères et du Développement international pourtant sur le site de l’ambassade semblent oubliés :
« La défense des droits de l’Homme fait partie de l’identité de notre pays, la France, et elle est un principe d’action de la diplomatie française. C’est pour moi, aussi, un engagement ancien et personnel. La France ne se mettra pas du côté de ceux qui voudraient mettre les violations des droits de l’Homme et le droit humanitaire entre parenthèses, sous le tapis. Le choix n’est pas entre incantation et silence complice : entre les deux, il y a un espace pour l’action, et ce que je souhaite, c’est que la France l’occupe pleinement. »
4/ Ensuite on passe à une question claire « Quel bilan en ce qui concerne les échanges commerciaux France-Thaïlande ? »
L’ambassadeur est satisfait (« Certes, nos résultats sont bons») et nous informe que la Thaïlande « est notre 3ème client en Asie du Sud-Est », qu’ « environ 280 sociétés françaises emploient entre 65.000 et 70.000 Thaïlandais », « que nous avons 1.5% de parts de marché. Parmi les pays comparables, l’Allemagne, par exemple, a deux fois plus de parts de marché que nous. »
En fait, les résultats déclinent, si l’on en juge d’après le site gouvernemental français:
« Sous l’effet conjugué de la baisse très sensible de nos exportations (- 42,7% en g.a) et de la progression de nos importations (+ 4,9%), notre taux de couverture, qui était de 110% en 2013, est ainsi redevenu négatif (60%). Après avoir été le quatorzième fournisseur de la Thaïlande en 2013, la France n’en est plus que le vingtième en 2014. Notre part de marché s’élève à 1,06%, derrière l’Allemagne (2,3%) et le Royaume-Uni (1,2%) pour ce qui est des pays membres de l’UE. La France demeure le 27ème client de la Thaïlande.
« Après en avoir été le troisième en 2013, la Thaïlande est désormais le cinquième client de notre pays au sein de l’ASEAN en 2014. Le Royaume se situe derrière Singapour (5,04 Mds€), la Malaisie (2,4 Mds €), les Philippines (1,9 Mds €) et l’Indonésie (1,66 Mds €).» http://www.tresor.economie.gouv.fr/11182_le-commerce-bilateral-france-thailande-en-2014
Ce qui, vous l’avouerez relativise quelque peu la satisfaction affichée de notre ambassadeur. (« Certes, nos résultats sont bons»)
D’ailleurs le journaliste considérant la réponse insuffisante le relance « Le poids commercial de la France en Thaïlande a-t-il déjà été plus important dans l’histoire de nos relations ? » Pour apprendre qu’« Il y a eu effectivement des périodes où l’indice était plus élevé, notamment les années où la France a vendu des avions à la Thaïlande, mais globalement, nous oscillons entre 1.3 et 1.6% de parts de marché. »
5/ « Compte tenu des changements que connait la Thaïlande actuellement, quelles orientations l’ambassade privilégie-t-elle pour favoriser ce développement ? »
On remarquera que S.E. ne rebondit pas sur la nature de ces « changements » (Dictature, répression, pays divisé, opposition réprimée, atteinte à toutes les libertés publiques, etc) mais préfère rester sur les priorités qui sont d’ailleurs fixées par les autorités thaïlandaises (« à savoir l’énergie, les transports, l’espace, la santé, les villes nouvelles »), sans nous dire quel le rôle joué par l’ambassade si ne n’est «l’ambassade est là pour appuyer solidement nos entreprises ». On aurait aimé ici savoir ce qu’il faut entendre par « appui » ; et ce qui est en cours au-delà d’un accord « envisagé » « entre le MEDEF et les organisations thaïlandaises équivalentes ».
Ensuite l’ambassadeur oublie la question pour nous présenter de façon quelque peu trop générale les secteurs d’investissement de la Thaïlande, sans donner une idée de leur importance : ses infrastructures (le développement de l’aéroport de Suvarnaphum, mais aussi les nouveaux projets de chemins de fer, d’autoroutes, et le fameux corridor est-ouest) ; « l’éducation et l’innovation. C’est le fameux slogan « Thailand 4.0 ». Avec pour ce secteur un curieux « Là aussi, la France peut aider ». En quoi ? Comment ?
6/ « En ce qui concerne la coopération culturelle et scientifique ? » Suivi ensuite par « La France forme-t-elle davantage de Thaïlandais qu’avant, dans les différents secteurs ? »
Outre les « Nous développons des coopérations dans tous les secteurs : artistiques, culturels, linguistiques avec l’enseignement de la langue française, et aussi dans les domaines scientifiques et universitaire » et « A travers la formation des nouvelles générations, nous renforçons les relations d’amitiés et la compréhension mutuelle entre nos deux pays. », qui ne coûtent pas cher ; S.E. l’ambassadeur se trouve obligé de constater « La contrainte des moyens » qui limite les actions :
132 bourses pour 2016 est un chiffre modeste (mais il dit « peuvent paraître modestes mais sont considérables compte tenu des secteurs et de l’excellence de la sélection ») ; « que la langue française a perdu son statut de seconde langue obligatoire dans les établissements secondaire en 2006, le nombre d’apprenants a mécaniquement diminué au bénéfice de l’anglais, du chinois et depuis peu d’autres langues asiatiques. »
Mais S.E. l’ambassadeur est plutôt satisfait avec « plus de 40.000 apprenants, répartis entre le secondaire, le système universitaire et l’Alliance française » (et « plus de 8.000 inscriptions par an dans les Alliances françaises.) précisant : « Ces chiffres restent élevés. »
De même pour le nombre de francophones en la Thaïlande, qu’il estime à environ 550.000 francophones, (0.8% de la population contre 0,7% pour le Vietnam, précise-t-il) et qui est -pour lui- « un beau résultat qui nous encourage à renforcer encore nos actions en faveur de l’enseignement et de la promotion de la langue française. ».
Il aurait été bien d’apprendre ce que S.E. entend par « renforcer nos actions » après avoir reconnu précédemment « la contrainte des moyens qui ont limité les actions. »
S. E. préfère encore en rester au « rayonnement de la langue française (…) assuré par un réseau extraordinairement dynamique d’universités en Thaïlande avec des départements de français performants et des alliances françaises, à Bangkok et en province, présentes depuis déjà très longtemps. » Avec le sentiment qu’« aujourd’hui encore, la maîtrise du français procure un prestige intellectuel auprès des plus hautes instances thaïlandaises ». (sic)
Rayonnement ! Extraordinairement dynamique ! Performants !
Et tout cela avec une seule attachée culturelle pour le Français au service culturel de l’ambassade. Cela tient du miracle ! On a hâte alors d’apprendre :
7/ « Où en est-on de la politique culturelle de l’ambassade ? »
Son S. E. ne va pas faire dans la dentelle : « C’est un axe fort de notre présence en Thaïlande. Pour moi, la politique culturelle, c’est l’identité de la France (…) notre ADN ».
(Ce n’est pas faux, mais ce n’est exclusif. Pour d’autres, comme nous l’avons dit, le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault, « La défense des droits de l’Homme fait partie de l’identité de notre pays, la France »).
Donc pour S.E., « L’identité de la France » s’exprimera par des « manifestations emblématiques », « focaliser avec les milieux d’affaire français et les partenaires thaïlandais » (Lesquelles ?) et par celles désormais connues depuis 2003 sous le concept de « la Fête », mais qui va désormais avoir lieu toute l’année. Il aurait pu – ici-donner des exemples.
Il est envisagé de recréer et de développer un festival de cinéma à l’Alliance française qui dispose maintenant d’une projection numérisée. (« Ce serait l’opportunité de présenter certains des films les plus marquants de l’année à un public qui n’a pas la possibilité de les voir, puisque pas assez de films français sortent en salle. Les films seraient sous-titrés en thaï pour que le public thaïlandais soit pleinement associé à cette manifestation »)
Et en province ?
C’est un enjeu, dit-il. « C’est un enjeu universitaire, artistique et politique d’être présents aussi en dehors de Bangkok, d’autant que notre communauté française est partout dans le pays. » Mais S. E. ne cite que « La nuit des galeries » présentée à Chiang Mai l’année dernière.
Il est vrai que c’est un enjeu et que la communauté française est partout dans le pays, mais le sentiment actuel vécu par cette communauté hors de Bangkok, est le plus souvent d’être considérée comme des expatriés de seconde zone. D’ailleurs S.E. ne fait aucune allusion aux associations de Français qui se sont formées dans le pays.
Il est vrai que S.E. a une haute idée de la communauté française qu’il définit ainsi:
« Nombreuse, diversifiée, attachée à ses racines tout en s’intégrant dans son pays d’accueil (…) notre plus belle ressource en Thaïlande ».et qui –bien sûr- se voit comme les dignes héritiers de ceux qui depuis 160 ans se sont engagés auprès des Thaïlandais amoureux de la France pour que notre pays ait ici une place particulière. » Un beau portrait certes : racines, intégré, héritier, engagé !
Et « Enfin », dit-il, « célébrer le 160ème anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques franco-thaïlandaises » ….. lors d’une réception à l’Ambassade. (Où bien sûr la communauté française sera invitée ?)
Mais que va-t-on célébrer ?
Si effectivement, fut signé le 15 août 1856 un « Traité d’amitié, de navigation et de commerce » qui instaurait entre autre, la « paix perpétuelle » entre l'Empire français et le royaume du Siam et décidait de l’établissement de relations consulaires.
La suite fut moins amicale et le roi Rama IV dut subir une série d’affronts de la part de Napoléon III qui ne le remercia pour les présents luxueux envoyés, et qui ne daigna même pas répondre à sa demande d’envoi d’une ambassade thaïe en France. Il fallut attendre 1859 pour que le comte de Castelnau, devienne le premier occupant du consulat de France au Siam et le 27 juin 1861 pour que Napoléon III reçoive officiellement l’ambassade thaïe au château de Fontainebleau. (Cf. Notre article 131.******)
Il faudra également attendre 1887 pour que le Consulat devienne une Légation et 1949 pour que celle-ci soit élevée au rang d’ambassade, avec M. Marchal nommé ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République française à Bangkok. (Décret du 11 mai 1949).
Cela pour l’aspect formel, en se rappelant qu’après 1856, les relations franco-thaïes furent plutôt conflictuelles pendant la période coloniale et lors de la 2ème guerre mondiale et fort ténues ensuite. (Cf. « Notre » histoire et nos relations franco-thaïes en racontent les principaux événements.*******)
L’interview se poursuit avec cette question : « Vous étiez en poste à Bangkok entre 1999 et 2003 en tant que deuxième conseiller, comment retrouvez-vous aujourd’hui cette Thaïlande que vous avez connue il y a 15 ans ? »
Si vous comptiez sur une réponse objective et profiter d’une bonne observation de la situation du pays, passez votre chemin, car pour S. E. :
« Politiquement, la situation n’est pas la même, mais je retrouve des constantes : la gentillesse des Thaïlandais et la beauté du pays, l’amitié franco-thaïlandaise. Le formidable patrimoine de sympathie dont je parlais au début de notre entretien s’est même développé. » (sic)
« La gentillesse ! La beauté ! L’amitié ! La sympathie réciproque accrue ! ». Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, comme aurait dit Pangloss. Mais nous ne sommes pas tous candides.
Après tout chacun a sa vision de la Thaïlande et des Thaïlandais, mais « il n'y a point de pires fléaux pour l'amitié que les molles caresses, l'adulation, et la flatterie. » (Ambroise Rendu, « Traité de morale »,1834)
Nous apprécions la Thaïlande et les Thaïlandais, mais en citant Jean François Laharpe, il faut se rappeler qu’ « on affaiblit toujours ce qu’on exagère ».
Maintenant, il n’appartient qu’à vous, de lire l’interview et d’exprimer votre opinion, et de nous blâmer, si vous le jugez bon, sachant que « Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. » (Beaumarchais)
*Propos recueillis par Pierre QUEFFELEC
(http://www.lepetitjournal.com/bangkok) vendredi 18 novembre 2016.
« Arrivé en poste il y a un an après un premier passage entre 1999 et 2003, l’ambassadeur de France à Bangkok, Gilles Garachon, revient sur cette première année riche en événements historiques qui marque un tournant dans l’histoire de la Thaïlande et ouvre de nouvelles perspectives dans les relations bilatérales. »
**21. Les relations franco-thaïes : Une lecture critique de la présentation historique « officielle » de l’ambassade de France de Bangkok des relations franco-thaïes. http://www.alainbernardenthailande.com/article-21-les-relations-franco-thaies-une-lecture-critique-65161247.html
*** http://www.ambafrance-th.org/-Relations-franco-thailandaises-
**** II – LE PROCÉS : JUSTICE DES VAINQUEURS OU JUSTICE DE CONCUSSIONAIRES ?
http://www.alainbernardenthailande.com/2016/10/h-2-l-incident-de-paknam-du-13-juillet-1893.html
24. Les relations franco-thaïes : Le traité de 1893
****** L’ambassade siamoise de 1861 en France. http://www.alainbernardenthailande.com/article-131-l-ambassade-du-siam-de-1861-en-france-123390953.html)
****** Nous aurions aimé aussi que S.E ait un mot, un seul, pour les Thaïs massacrés en 1941 au prétexte de leur religion catholique qui les ont fait considérer comme des espions français, les « martyrs du Siam » et peut-être aussi pour les ravages causés à la même époque par des nervis irrédentistes plus ou moins manipulés par Phibun dans les locaux du consulat de France à Chiangmaï et au domicile du consul, Camille Notton qui avait eu le courage malgré la guerre de ne pas quitter le pays, quelques dizaines d’années d’un immense travail d’érudition parties en fumée.
Nous aurions aimé que S.E. ait un mot, un seul, sur les trois bataillons de volontaires thaïs de la légion étrangère dont la conduite héroïque lors de la bataille de Dien-Bien-Phu a suscité l’admiration de leurs frères d’armes, tous morts au combat ou disparus dans les camps viets.
Nous aurions aimé aussi et enfin que S.E. prononce quelques mots sur les litiges frontaliers issues directement de la colonisation occulte, du traité de 1893 et de celui de 1907 qui, quoiqu’on en pense ne sont pas définitivement éteints :
– La question de la limite frontalière avec le Laos, 1754 kilomètres de long, fluviale dans sa plus grande partie, a donné lieu à « la guerre des collines » et, après que le sang eut coulé en 1987-1988, à la constitution d’une « commission mixte » dont les travaux ne sont pas, à notre connaissance, terminés…Il resterait encore 10 % du travail à faire.
- La question de la limite frontalière avec le Cambodge sur la chaine des Dangreks, celle du temple de Preah Vihar dont nous avons longuement parlé. Le sang a également coulé. En 1962 devant la Cour de Justice internationale de la Haye un procès ouvertement manipulé opposant la Thaïlande au Cambodge ayant en réalité chaussé les bottes de la France coloniale attribue au second la propriété d’un temple qui n’était alors accessible que depuis la Thaïlande. La question n’est pas à ce jour définitivement réglée.
Ces deux flous non artistiques sont la conséquence directe des travaux des géographes français (des officiers de la Légion étrangère) ayant conduit les opérations de délimitation de façon non-contradictoire en application des traités de 1893 et de 1907. Ils ont travaillé « à la godille », sans arrière-pensées évidement mais sans s’inquiéter des conséquences futures. Les nationalistes thaïs continuent encore à nous le reprocher.
Nous n’avons enfin pas non plus droit à un seul mot sur l’irritante question (pour les Thaïs) des « protégés français » dont nous avons parlé à diverses reprises, véritable colonisation de l’intérieur, dont le Siam ne réussit à se débarrasser malgré sa participation plus ou moins symbolique à la guerre de 1914-1918 que guère avant la guerre suivante : Des dizaines de milliers de Siamois originaires des territoires dorénavant soumis à la domination française, Khmers, Laos et Indochinois, Indous de nos comptoirs, puis ensuite les Chinois, placés de façon souvent fallacieuse sous la « protection » française avec la complicité active des agents consulaires échappaient totalement à la juridiction civile, commerciale, fiscale et militaire de leur pays. Ceci répondait au vœu du très puissant « parti colonial » qui a toujours souhaité la colonisation effective du pays. Même les Anglais dont la colonisation a généralement et partout été immonde ne sont pas allés jusque-là.
lI ne s’agit pas pour nous de faire de l’ « auto flagellation » ni de solliciter le moindre « acte de repentance ». Les populations du Laos et du Cambodge furent initialement satisfaites de ne plus subir la tutelle siamoise avant de s’apercevoir que celle de la France ne leur avait apporté ni liberté, ni égalité ni fraternité. L’affirmer n’est pas justifier ce qui s’est déroulé par la suite, pas plus en Asie qu’en Afrique.
Pour une vision critique sur les droits de l’homme en Thaïlande depuis 2015, on peut lire le rapport « du bureau de la démocratie de l’U.S. Department of State :
http://www.state.gov/j/drl/rls/hrrpt/humanrightsreport/index.htm?year=2015&dlid=252803#wrapper