Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Traduit du thaï par Marcel Barang.
Il s’agit ici de proposer une lecture du roman « La Chute de Fak » de Chart Korbjitti*, paru en 1981 et qui a obtenu le prix du SEA-Write Award (Sahitya Akademi Award) en 1982, après vous avoir déjà présenté la lecture d’un autre de ses romans « Chiens fous ».** Ce rappel est d’importance tant ces deux romans sont si différents par leur structure, leur thématique et leur style et démontrent le talent de cet auteur, qui est, avec Saneh Sangsuk, l’un des deux romanciers thaïlandais les plus connus en France.
« Chiens fous » s’affichait comme autobiographique (« Les personnages de ce roman existent réellement », disait-il) et racontait les histoires d’une bande de copains, aux parcours si différents, mais qui se rencontraient parfois, vivaient en communauté une période leur vie, en « hippies », à Pattaya, Bangkok, Phuket, et appréciaient de se retrouver pour papoter autour d’une bouteille, d’un joint jusqu’à l’ivresse, la défonce. Oui, on aimait discuter, évoquer des souvenirs, des anecdotes, mais jamais on ne faisait dans le sérieux. On ne parlait pas de politique, de religion, On ne refaisait pas le monde. On ne se révoltait pas contre l’ordre établi. Seul l’ordre familial et aussi pour certains l’amour d’un père et/ou d’une mère était là pour leur rappeler leur devoir, leur responsabilité, le modèle qu’il fallait respecter (une famille, un métier, un mariage, des enfants). (In notre A142**)
Avec « « La Chute de Fak » rien de tel.
On va suivre l’histoire sur 303 pages, d’UN personnage, Fak, jusqu’à sa mort, dans UN village paysan du centre de la Thaïlande, structurée chronologiquement, après un prologue, avec deux parties comportant 3 chapitres chacune, intitulées par l’auteur, « Dans les rets » et « Vers la liberté ».
Chart Korbjitti nous décrit donc la vie tragique de Fak dans un village paysan des années 60, avec son organisation religieuse bouddhiste et sociale, son calendrier, ses cérémonies, ses fêtes, ses rites, ses us et coutumes, et avec l’arrivée de la modernité (Avec l’introduction de l’électricité, de la télévision, des appareils électroménagers, etc) qui va bouleverser son mode de vie, mais avec toujours la pagode au centre du village.
1ère lecture. Version courte.
Toute lecture impose des choix, essentiellement déduits du style, de la structure et de l’intrigue de l’œuvre. Il ne faut donc pas être étonné que nous avons préféré présenter une forme de résumé de « La chute de Fak » qui suivrait la chronologie marquée par les saisons, les cérémonies du temple, les semestres scolaires ; commençant par un prologue important qui raconte la vie de Fak avant l’événement qui va faire basculer sa vie. Il y a effectivement un avant et un après. Avant, c’était un fils exemplaire qui aidait son père à accomplir les tâches de concierge ; un novice ensuite qui passa en trois années, les trois examens de théologie au chef-lieu de la province, qui lui valurent d’être aimé et admiré par les bonzes et d’être un modèle pour les villageois. Certes il défroqua, mais pour ne pas se « prélasser » dans la religion, et aider son père qui trimait dur. Un bon fils, qui aida également son père pendant le service militaire de deux ans en lui envoyant sa solde.
Mais à son retour il vit que son père avait pris une jeune femme quelque peu dérangée. L’année suivante son père mourut et Fak eut la malheureuse idée de prendre pitié et de garder la veuve à la cabane. A la fête de la pagode, « Fak commença à perdre sa réputation. »
D’ailleurs le prologue (pp.11-21) en son premier paragraphe est explicite sur le sujet du roman :
« Ceci est l’histoire d’un jeune homme qui a pris pour femme une veuve qui n’avait pas toute sa raison. (L’histoire se serait sans doute terminée là si la veuve n’avait été la femme de son père.) Et par le plus grand des hasards cette histoire est arrivée au sein d’une petite communauté rurale, si bien qu’elle est devenue un scandale énorme qui a ébranlé les convictions morales de presque tout le monde dans le village, chacun y allant de ses commentaires et jugements en fonction de l’opinion qu’il s’était faite sur cette relation contre nature. »
On suivra ensuite les deux parties intitulées par l’auteur, « Dans les rets » et « Vers la liberté » qui correspondent bien à la vie tragique de Fak, à savoir un Fak se débattant dans les rets du malheur, essayant de dire sa vérité (Il a pris la veuve de son père par pitié, et non pour coucher avec elle) à des villageois qui l’avait condamné, et qui ne voyaient que ce qui pouvait l’accabler.
En effet, Fak prit le travail de concierge de son père et avait accueilli la veuve de son père, mais il n’avait pas vu là matière à scandale, ni que l’on aurait pu l’accuser d’immoralité, mais dès le début les agissements de la veuve de son père (montrant ses seins ) lui valurent des remontrances et une invitation à la contrôler ; Il en allait de la réputation de la commune.
Fak verra l’année suivante sa situation empirer, plus personne ne voulant discuter et même le saluer ; On ne l’invite plus, on ne fait plus appel à lui pour les préparations des cérémonies comme autrefois. Il se sent exclu de la communauté. Il le constatera à la fin de la 1ère partie où personne du village ne viendra à la crémation de son père. Il se sentira humilié. Mais à cette occasion, il rencontrera le fossoyeur Kaï –enfin- quelqu’un qui le croyait, et qui –comme lui- était un paria, un intouchable. Il eut la malheureuse idée de lui offrir un verre d’alcool de riz, puis de terminer ensemble la bouteille. Il se saoula, hurlant sa peine, reprochant à son père d’avoir pris femme lui valant la détestation du village. Mais le pouvoir de l’alcool fut une révélation.
La 2ème partie « Vers la liberté » racontera son addiction, sa dégradation jusqu’à sa mort (La liberté ?).
« Il s’émerveilla du pouvoir extraordinaire que contenait cette bouteille. Cet alcool lui avait permis de s’endormir facilement, d’oublier radicalement tous ses malheurs. Il lui avait redonné confiance en lui-même et sa peur, son anxiété avaient diminué et disparu au bout de quelques verres ». Il eut une révélation d’une « voie nouvelle (qui) le conduirait loin de toute entrave » contrairement à « la voie étroite de la vertu (qu’) il avait empruntée fort longtemps. »
La vie de Fak va alors basculer dans cette voie nouvelle qui n’ était que son addiction à l’alcool, avec ses conséquences : le travailleur acharné était devenu un mauvais travailleur, oubliant, bâclant, trainant à accomplir ses tâches avec une consommation d’alcool qui augmentait chaque jour et qui se terminait toujours à la tombée de la nuit, jusqu’à être ivre mort chez Kaï, le fossoyeur, qui était devenu son intime. Il se négligeait, sentait mauvais, portait des chemises sales. La situation ne faisait qu’empirer, ainsi le jour de Songkran, Il n’avait pas même pas entendu la cloche de la pagode, et il put voir que les gens s’écartaient, « rebutés par son odeur de fauve mêlée aux relents d’alcool. ».
L’abbé voulut l’aider et lui fit promettre de ne plus boire d’alcool. Il promit, mais dès le lendemain, sa souffrance était telle, qu’il ne put dormir, au milieu des vomis, des contractions, des nausées, des hallucinations, et renonça au petit matin. Les villageois y virent un nouveau scandale et ressentaient désormais de la haine pour lui.
A la rentrée scolaire, les élèves le méprisaient et l’appelaient « Fak le poivrot ». En effet, Fak parfois ne se réveillait pas le matin, et un jour des élèves durent même aller le réveiller pour qu’il puisse ouvrir l’école. Criant, ils surprirent la veuve nue sous la moustiquaire. Fak, se réveillant péniblement, les insulta et jeta avec force une petite noix de coco, qui malheureusement atteignit le front de l’élève Tang ; ce fut un nouvel incident. Les parents vinrent se plaindre à l’école, les instituteurs se réunirent ensuite pour discuter du comportement bizarre de Fak. Finalement, le directeur lui proposa de démissionner. Il alla ensuite se soûler chez Oncle Kaï et sur le chemin du retour à sa cabane, il fut agressé sauvagement par trois individus, roué de coups, eut le visage tuméfié, perdit quatre dents. Il n’osait plus sortir, et à la fin août, Fak reçut son dernier salaire.
Fak, souffrant, tourmenté, se demanda ce qu’il avait fait pour mériter un karma pareil. Mais Fak ne pensait qu’ à boire sa bouteille d’alcool de riz et se soûler, et sa condition physique se dégrada. Celui qui autrefois était montré en exemple par les mères, était devenu le croque-mitaine qui pouvait faire peur aux enfants (« Fak va venir t’emporter et les enfants s’arrêtaient de brailler » ).
Au début novembre Fak va même connaître la prison. Il n’avait plus d’argent pour boire et dut aller chercher un peu de son argent qu’il avait confié au directeur de l’école, mais celui-ci prétendit que Fak ne lui avait jamais donné d’argent. Furieux, Fak hurla partout que le directeur était un escroc, un fils de pute. Il n’hésita pas à venir l’injurier à l’école, perturbant les classes ; Le directeur fit prévenir la police, qui vint l’arrêter et le mit en prison. Fak essaya en vain de se disculper, mais personne ne le croyait. Il fut relâché avec la promesse de ne plus injurier le directeur qui passa pour un homme généreux et remarquable.
Fak repartit, blessé, éreinté, tremblant, des crampes au ventre avec … un besoin irrépressible d’alcool et une question : « Où est-ce que je vais trouver l’argent pour acheter à boire ? » Fak alla voit les trois instituteurs qui logeait à l’école et Prîtcha lui donna 20 baths. Il envoya la veuve acheter une bouteille, souffrant, et pour la première fois, crachant du sang. On assistera alors à la mort de Fak, qui « fut accueillie avec jubilation par pas mal de gens ». La veuve poursuivit sa quête, anxieuse, recherchant partout Fak comme « un chien perdu qui cherche son maître ». Les habitants s’inquiétèrent de son comportement et le Kamnan Yom décida de la faire l’interner à l’hôpital psychiatrique Khlon San à Bangkok ; On y apprit qu’elle s’en était échappée il y avait des années.
Le sixième et dernier chapitre était consacré à la crémation de Fak, où il allait encore subir un dernier outrage. Oncle Kaï demanda au directeur d’école s’il voulait assurer les frais des funérailles. Celui accepta à condition de les faire après le festival célébrant l’anniversaire du révérend père abbé. Il fallut néanmoins attendre six mois.
Certes « presque tout le monde de la commune était venu, ne portant pas de noir, comme il était de coutume », mais il n’était pas là pour Fak, « mais pour vérifier, si le processus de crémation du nouveau four crématoire était fiable ». Les villageois firent même « la queue pour regarder les flammes à l’intérieur par l’ouverture. Nul ne se soucia de Fak, qui eut droit à quatre bonzes qui « assurèrent un service minimum en un temps record ». Oncle Kaï dut mettre seul le corps de Fak dans le four crématoire.
Kaï fut écoeuré, choqué. Il avait été trompé. Il alla acheter une bouteille d’alcool, pour la boire seul, pensant à Fak, aux bons moments passés ensemble. Il était indigné par cette profanation, que l’on ait pu se servir ainsi du corps de Fak, comme un chien ou un cochon. Il eut même droit au mot du directeur qui estima que « maître Fak était quelqu’un d’assez utile. Même mort, son corps (pouvait) encore servir ». Oncle Kaï pensa à la veuve, et « resta assis à boire et à tenir compagnie à Fak jusqu’au soir ». Il décida que c’était sa dernière crémation.
« La Chute de Fak » de Chart Korbjitti, par la forme choisie est plus une fable qu’un roman, présentant une communauté villageoise vivant ensemble les mêmes valeurs, partageant les mêmes cérémonies religieuses, le carême, les crémations, les anniversaires des personnalités, les grands événements comme l’ouverture de la nouvelle école ou l’introduction de l’électricité, occasions aussi pour se divertir avec le repas pris en commun, le liké, le cinéma, le feu d’artifice … avec la pagode au centre du village. Mais une communauté intraitable avec ce qu’elle considère comme une immoralité affichée, dont Fak paiera le prix, par son exclusion. On peut voir aussi dans toute la deuxième partie, à travers l’exemple de Fak, les conséquences de l’addiction à l’alcool, avec sa dégradation physique et morale, sa déchéance, le regard méprisant de la communauté, une voie menant à la mort.
On peut constater aussi que nul ne peut savoir les aléas de son destin ; Ainsi en va-t-il de Fak, un être aimé, admiré, devenu un modèle pour sa communauté, et qui va par un acte pourtant généreux, voir sa vie basculer, et se trouver exclu, méprisé, haï. Nul ne connait son karma.
2ème lecture. Version longue.
Chart Korbjitti nous décrit donc la vie tragique de Fak dans un village paysan des années 60, avec son organisation religieuse bouddhiste et sociale, son calendrier, ses cérémonies, ses fêtes, ses rites, ses us et coutumes, et avec l’arrivée de la modernité (Avec l’introduction de l’électricité, de la télévision, des appareils électroménagers, etc) qui va bouleverser son mode de vie, mais avec toujours la pagode au centre du village.
0Quand un enfant naissait on le portait à la pagode pour que le révérend père lui trouve un nom propice et conforme à sa date de naissance. Quand un fils ou un petit fils était en âge de devenir novice, c’est à la pagode qu’on le faisait ordonner et qu’il venait résider. Bien entendu, quand quelqu’un mourait, c’est à la pagode qu’on apportait le corps pour l’incinérer. Pour quiconque voulait faire des rencontres, c’est à la pagode qu’il fallait se rendre. C’est à la pagode que le chef du village réunissait les villageois, que les officiels du district venaient établir les cartes d’identité individuelles et les services sanitaires vacciner contre les épidémies. Les vieux allaient à la pagode faire leurs dévotions et les policiers à la poursuite de malfaiteurs s’arrêtaient à la pagode pour prendre des renseignements. Individuellement et collectivement, tout le monde dépendait de la pagode. »
0Un village où on va suivre pas à pas, chapitre après chapitre, la vie d’exclu de Fak, sa chute et sa mort. Le prologue (pp.11-21) en son premier paragraphe nous donne le sujet du roman :
« Ceci est l’histoire d’un jeune homme qui a pris pour femme une veuve qui n’avait pas toute sa raison. (L’histoire se serait sans doute terminée là si la veuve n’avait été la femme de son père.) Et par le plus grand des hasards cette histoire est arrivée au sein d’une petite communauté rurale, si bien qu’elle est devenue un scandale énorme qui a ébranlé les convictions morales de presque tout le monde dans le village, chacun y allant de ses commentaires et jugements en fonction de l’opinion qu’il s’était faite sur cette relation contre nature. »
Un prologue pour apprendre que Fak avait perdu sa mère si jeune qu’il ne s’en souvenait plus ; qu’à sa mort, son père et lui avaient été accueillis par la pagode. Ils y vivaient, y travaillaient au service des bonzes, y accomplissaient les menus travaux. Son père, quand il avait fini de travailler à la pagode, « se faisait embaucher pour désherber les cocoteraies, défricher la forêt, couper du bois de chauffe, retourner le sol, selon ce qu’on lui proposait. » Fak passa donc sa vie d’enfant à la pagode. Quand il eut 11 ans, on construisit une école à la pagode ; son père en devint le concierge payé par l’Education nationale. Fak y suivit les 4 années du primaire et se fit novice.
Le novice Fak passa en trois années, les trois examens de théologie au chef-lieu de la province. Ce qui était remarquable et lui valut d’être aimé et admiré par les bonzes et les villageois. Mais au moment de prendre l’habit, il demanda à se défroquer, car il ne pouvait accepter de se « prélasser » dans la religion, alors que son père trimait dur. On ne put le dissuader et il « alla vivre dans la cabane avec son père, qu’il aidait dans son travail à l’école ». « Son monde à cette époque-là se partageait entre son père et la pagode ». Les villageois le voyaient alors comme un jeune homme modèle. Il fit son service pendant deux années, envoyant tout ce qu’il gagnait à son père.
Mais à son retour, il vit que son père vivait avec une jeune femme d’une trentaine d’années, alors que son père avait la cinquantaine. Il constata qu’elle n’avait pas toute sa tête et son père lui apprit les circonstances de leur rencontre, et qu’il l’avait prise par pitié et pour briser sa solitude.
On apprend que deux ans ont passé : l’école s’est agrandie, une route derrière la pagode menant au chef-lieu et à Bangkok avait été construite, le progrès était en marche. On annonçait même la venue de l’électricité. Et Fak avait continué plus que jamais à aider son père, et même les instituteurs, et toujours sans être payé. Mais l’année suivante son père mourut. Fak en fut meurtri. A la fête de la pagode, « Fak commença à perdre sa réputation. » C’est la fin du prologue.
La 1ère partie « Dans les rets » pouvait commencer.
Chapitre 1. ( pp. 25-52)
On se retrouve un mois après le décès du père de Fak qui est donc devenu le concierge de l’école. On va le suivre toute une journée, dans son travail quotidien (Ouvrir les seize classes, les nettoyer, ainsi que le bureau du directeur, mettre le drapeau. Recevoir les instructions du directeur pour les tâches du jour, rendre service aux enseignants, etc). Mais très vite, on apprend, par un reproche du directeur, que la veuve de son père a montré ses seins à maître Prîtchâ, qu’il doit la contrôler, qu’il en va de la réputation de la commune.
Allant, chez « tante Tchuea », chercher le repas des enseignants, il essuie des moqueries de Kliao avec des mots à double sens concernant ses relations avec la veuve Somsong. Revenant, le directeur estimant qu’il a été trop long, lui demande aussi s’il est pas allé « lutiné sa femme ». Le soir, les trois instituteurs logeant à l’école (dont Prîtchâ) le chambre également à propos de « sa femme ». Or le soir, Fak voyant, par surprise, les seins de la veuve, détourne le regard car il « n’avait jamais vu des seins de femme mûre ainsi ». Il n’arrêta pas d’y penser, mais refusa son offre de venir coucher avec lui.
Et dans les 5 dernières pages du chapitre, on va assister aux tourments de Fak, partagé entre le désir de chasser la veuve et de ne pas l’abandonner dans la rue. Il est conscient qu’il a perdu sa réputation, car personne ne croit qu’il ne l’a pas touchée, mais il ne comprend pas pourquoi, les villageois l’ont jugé et condamné, qu’ils le haïssent et le méprisent. A un moment, il s’en veut d’avoir pensé coucher avec la veuve ; bref, il se pose beaucoup de questions, d’interrogations et ne peut s’endormir, se rappelant des beaux souvenirs d’enfance. Il ne s’endormira qu’au petit matin.
Le chapitre se termine sur « Un jour de plus avait pris fin, un jour de Fak, un jour interminable ».
Fak était bien « dans les rets » du filet pour reprendre le titre de la partie. Il avait gardé la femme de son père, par pitié parce qu’elle était dérangée. C’était une innocente qui passait toute la journée à ramasser les objets jetés qui piquaient sa curiosité et les ramenait à la cabane ; c’était son trésor. Mais elle avait appelé Fak en public, « mon homme » ; la rumeur était partie. Tout le village était convaincu qu’il couchait donc avec la femme de son père décédé. Il était désormais coupable et avait perdu sa bonne réputation. Le modèle était devenu un sujet de honte. Et voilà qu’elle avait montré ses seins à un instituteur ! Il ne voyait pas comment s’en sortir.
Chapitre 2. (pp. 53-103)
Le premier paragraphe était sans équivoque :
« Le temps passa. Fak se débattait toujours dans les rets du malheur. Il avait beau essayer de s’en dégager, on aurait dit que plus il se débattait plus les mailles du malheur se resserraient sur lui, pareil à un poisson pris dans un filet qui, ayant beau vouloir se sauver, n’a aucune chance d’y parvenir. » (p.53)
Nous sommes à la saison chaude de l’année suivante et la situation a empiré.
Plus personne ne veut discuter avec Fak et même le saluer. Pendant les vacances scolaires certains continuaient de l’embaucher dans les plantations de cocotiers et de jujubiers, lorsque la veuve Somsong fit encore faire des siennes, en courant « le derrière à l’air ». Fak cria, courut après elle, la plaqua au sol pour lui remettre son sarong, mais elle se débattait en le rouant de coups. Par malchance, le vieux Pène et la vieille Saï ne virent que Fak « en train d’enlever son sarong à la Somsong en plein milieu de la plantation. » Le vieux Pène n’en croyait pas ses yeux et les traita de « Pourceaux ». Fak essaya de lui expliquer ce qui s’était réellement passé mais le vieux Pène ne voulut rien entendre.
Il crut même nécessaire quelques jours plus tard de convier les bonzes afin qu’ils récitent des prières pour apaiser les esprits.
La cérémonie fut suivie d’un repas, comme il est de coutume, pendant lequel les convives commentèrent avec force plaisanteries et dégoût cette histoire. On se doute que ce scandale fit le tour du village et isola encore plus Fak. Il s’en rendit compte lorsque personne ne vint l’aider pour refaire la toiture de sa cabane, lui qui avait aidé tout le monde.
Ensuite, Chart décrit la cérémonie de Songkran, le jour de l’an thaï, à la pagode. (pp. 60-67) pendant laquelle Fak reste à l’écart. Mais le lendemain, lors de la cérémonie de l’hommage aux ancêtres, alors que Fak s’efforçait d’aider à la cérémonie, la veuve Somrong fit encore des siennes. Elle cherchait Fak en demandant « Z’avez pas vu mon homme ? » et éclata de rire devant quatre bonzes qui priaient auprès d’un stupa avec un groupe assis autour. Le plus jeune Song voulut la faire déguerpir, mais elle ne voulut pas. Il la tira alors par le bras et la battit. Elle s’enfuit ensuite, et s’arrêta et « remonta son sarong jusqu’à la taille, exhibant pour tout le groupe son mont broussailleux » (p.71) Song était fou de rage, car il voyait là « une insulte pour toute la famille et toutes les choses sacrées ». Fak, informé, fut en colère et se demanda pourquoi, elle ne lui attirait que des ennuis.
Mais quand il la vit avec ses plaies, il eut pitié. Et de retour dans la cabane, il la soigna avec du baume. « C’était la première fois qu’il la touchait de façon prolongée ; un certain courant passait entre eux, entre un désespéré et une aliénée emmurée dans sa solitude ». Il ressentit sa souffrance et ne comprit pas pourquoi on avait battu avec violence une femme qui n’avait plus toute sa tête. Le soir, il dut la repousser, car elle voulait dormir avec lui.
On se doute que la nouvelle refit le tour du village. Trois jours plus tard, le directeur de l’école vint même dans la cabane prévenir Fak de s’occuper de sa femme, sous peine la prochaine fois de l’envoyer dans un asile de fous.
Une nouvelle année scolaire commença. Fak reprit son travail de concierge, qui seul, lui donnait encore satisfaction, et l’empêchait de penser. Puis en avril, on lui demanda d’abattre un chien qui s’était fourvoyé dans l’enceinte de la pagode et qu’on soupçonnait d’avoir la rage. Fak s’en voulut, craignant sa vengeance. Ces nuits étaient toujours agitées. On continuait à l‘importuner et Fak était lassé de nier toute relation avec la femme de son père.
Chart décrit ensuite la cérémonie de crémation du père de Kamnan Yom et la fête grandiose qui a suivi. (pp.88-99) Le chapitre se termine sur une nouvelle tentative de la veuve pour coucher avec Fak et sur un rêve de Fak voyant tout le village assisté à la crémation de son père, le remerciant d’avoir pris soin de la veuve, et recevant une médaille du Kamnan (Chef du village) sous les applaudissements.
Chapitre 3. (pp.103- 153)
Le chapitre repart sur son rêve de voir enfin les villageois reconnaître la vérité, mais il sait que personne ne le croit. Pire, il va constater qu’à la saison des ordinations -une période importante dans la vie du village- il ne reçoit aucune invitation, et on ne fait même plus appel à lui, comme autrefois, pour aider à la préparation de la cérémonie. Il se sent exclu de la communauté. Chart décrira la cérémonie d’ordination (pp.106-108) qui sera suivi par le carême bouddhique.
Fak ressent encore plus la solitude quand il se rend compte qu’il ne peut se confier à personne pour le conseiller pour la crémation de son père. Le directeur de l’école toutefois l’approuve, et le révérend père décide que la date choisie sera le 7 septembre, période des vacances trimestrielles. Quelques jours avant, Fak alla inviter le chef du village, le kamnan, qui lui dit qu’il avait une réunion ce jour, d’autres se diront occupés ce jour également, et d’autres encore qui promirent s’ils étaient libres.
Fak se décida ensuite à rencontrer Kaï, le fossoyeur, pour les obsèques
On apprend que Fak ne lui a jamais parlé, car il est considéré, comment quelqu’un de « sale » et dont les offrandes peuvent être contaminées. Ils parlèrent tout l’après-midi. Fal lui raconta tous ses malheurs, ses frustrations, sa solitude, et tint à ce que Kaï le croit sur le fait qu’il n’avait rien fait avec la veuve Somsong. Fak fut heureux d’entendre que Kaï le croyait. Voilà longtemps qu’il n’avait jamais été aussi heureux.
Plus tard, Kaï vint lui demander de l’argent pour acheter du combustible. Fak dut alors aller chez le directeur à qui il confiait son argent. Le directeur en profita pour le faire travailler sur un bassin à nettoyer, et ne put donner que 500 baths sur les 2000 dont Fak avait besoin, en l’invitant à revenir le lendemain, chercher le reste qu’il devait prendre à la banque. (pp.122-125) Le directeur lui demanda alors s’il pouvait lui acheter quelque chose en ville. Fak répondit quatre ensembles de robes et 50 fleurs de santal. Mais si le directeur était « gentil », il lui demanda aussi combien d’argent il lui restait, prétextant qu’il ne s’en souvenait jamais. Fak lui annonça 6000 baths. Le directeur fit l’étonné et lui fit signer le carnet. (p. 125)
Ensuite le chapitre se terminera sur les funérailles, la crémation du père de Fak, avec l’étonnement du fossoyeur qui n’avait jamais vu que l’on n’offrit pas de déjeuner aux bonzes venus prier, qu’il n’y eut pas de rafraichissements prévus, et de musique, et que personne ne soit venue pour aider. Mais le pire était à venir puisque Fak constata que personne n’était venu à la crémation. Devant le cercueil de son père sur le bûcher, il se lamenta « comme s’il avait perdu l’esprit », rappelant à son père que les gens le détestaient.
Il retrouva le fossoyeur qui lui offrit un verre d’alcool. Il venait de trouver –enfin- quelqu’un qui le croyait. Kaï lui révéla alors son statut de paria, d’intouchable : personne ne venait manger avec lui, craignant de se faire infecter, la peur les gosses le voyant, sa solitude. Ils étaient en sympathie et terminèrent la bouteille d’alcool de riz. Fak chancelant alla en acheter une autre et prit un carton vide pour y mettre les cendres de son père. Il se saoula, hurlant sa peine, reprochant à son père d’avoir pris femme lui valant la détestation du village. Kaï raccompagna Fak à sa cabane. Il s’étala, et dormit « comme s’il était mort. Cela faisait un an qu’il ne s’était pas endormi aussi facilement que cette nuit-là ». (p.153 ; Fin du chapitre»).
Deuxième partie. VERS LA LIBERTE.
Chapitre 4. (pp. 157-212)
Le lendemain, Fak se réveilla avec la gueule de bois, la tête comme un marteau-pilon, ne se souvenant plus de rien. Il découvrit, horrifié, la veuve Somsong, le corps nu, allongée derrière lui. Il ne voulut pas argumenter et très vite il vit la bouteille où restait un peu d’alcool et « il s’émerveilla du pouvoir extraordinaire que contenait cette bouteille. Cet alcool lui avait permis de s’endormir facilement, d’oublier radicalement tous ses malheurs. Il lui avait redonné confiance en lui-même et sa peur, son anxiété avaient diminué et disparu au bout de quelques verres ».
Il eut une révélation, il avait découvert une « voie nouvelle (qui) le conduirait loin de toute entrave » contrairement à « la voie étroite de la vertu (qu’) il avait empruntée fort longtemps. » (p.160)
Dès lors, la vie de Fak va basculer.
Le changement d’attitude de Fak. Le travailleur acharné oubliait certaines tâches à accomplir à l’école ; ce qu’il faisait auparavant en un jour, il l’accomplissait en trois jours ; il buvait un coup quand il allait chercher le repas des instituteurs, et sa consommation d’alcool augmentait chaque jour. « Certains jours, il s’endormait ivre sans avoir dîné ». « Près de la moitié de son salaire disparaissait dans sa gorge. » (p.165). Il se négligeait, sentait mauvais, portait des chemises sales. S’il put parvenir à s’acquitter de ses tâches jusqu’à la fin du semestre, il eut soin ensuite d’être soûl en permanence. Il avait encore honte de son comportement, mais continuait à boire tous les jours, jour après jour. A la tombée de la nuit, il allait voir Kaï, le fossoyeur, qui était devenu son intime, et il buvait avec lui jusqu’à être ivre mort.
La situation ne pouvait qu’empirer. Ainsi, le jour de Songkran, Il n’avait pas même pas entendu la cloche de la pagode. Quand il y arriva –enfin- pour aider, les gens s’écartaient, « rebutés par son odeur de fauve mêlée aux relents d’alcool. ».
La promesse de Fak à l’abbé. Ce même jour, l’abbé le convoqua, lui parla affectueusement, lui rappela sa vie de novice, essaya de lui expliquer qui il était autrefois et de lui montrer, ce qu’il était devenu et lui demanda de ne plus boire. Fak lui promit. (pp. 171-177) Il pensait alors qu’il allait prendre un nouveau départ.
Mais dès le lendemain, pour la journée des ancêtres, il ne put sortir, tant il souffrait, était irrité, agité, tourmenté, tremblant, en pleine confusion, son corps réclamant l’alcool. Il voulait tant respecter la promesse faite à l’abbé. Il ne put avaler son assiette de riz et vomit, eut des contractions, des nausées, des hallucinations. La nuit fut abominable ; et il ne dormit pas. A l’aube, il renonça et demanda à Ma’ame Somsong d’aller lui acheter de l’alcool de riz.
Chart décrit ensuite la cérémonie de l’hommage aux ancêtres (pp. 186-189), cette remémoration collective des morts, où Fak arrive titubant, avec un carton de bouteilles de whisky, dans lequel il avait déposé les cendres de son père. On l’accueillit dans le pavillon funéraire dans un silence de mort, ne manquant pas de dire que « le bougre était encore soûl ». Mais surtout on ne manqua de commenter ce qui apparaissait comme un nouveau scandale : Fak n’avait pas tenu sa promesse faite à l’abbé et lui avait donc manqué de respect. Les villageois ressentaient maintenant de la haine pour lui.
On assiste ensuite à une nouvelle rentrée scolaire. Fak n’avait plus cœur à travailler. Les élèves désormais le méprisaient et l’appelaient « Fak le poivrot ». Un matin, des élèves durent aller le réveiller pour qu’il puise ouvrir l’école. Criant, ils surprirent la veuve nue sous la moustiquaire. Fak, se réveillant péniblement, les insulta et jeta avec force une petite noix de coco, qui malheureusement atteignit le front de l’élève Tang, qui poussa un cri et qui menaça Fak d’un « Fils de pute ! Je vais le dire à mon père. » (p. 197) Nous avions là un nouvel incident. Les parents vinrent se plaindre à l’école et les instituteurs se réunirent ensuite pour discuter du comportement bizarre de Fak.
Désormais, « Personne ne lui adressait la parole, pas même les trois enseignants qui aimaient échanger des plaisanteries avec lui. »(p. 198). Mais surtout, il fut convoqué par le directeur qui lui proposa de démissionner (pp. 200-204). Fak essaya en vain de se justifier.
Le soir, il se soûla et rendit visite au fossoyeur l’oncle Kaï, le seul avec qui il pouvait rire et plaisanter. Il lui apprit la nouvelle, l’informa qu’il avait cinq mille en dépôt chez le directeur, qu’il était incertain sur son avenir. Kaï lui conseilla d’arrêter de boire car il était en train de se détruire. Mais Fak finit les bouteilles et repartit chez lui, criant à tue –tête, vociférant, et fut agressé sauvagement par trois individus, roué de coups, eut le visage tuméfié, perdit quatre dents, et eut bien du mal à rejoindre sa cabane. (C’est la fin du chapitre 4)
Chapitre 5 (pp. 213- 278).
Fak avait été choqué, et n’osait plus sortir à la nuit tombée, même pour aller chez oncle Kaï. La correction reçue par Fak se répandit dans tout le village et fut commentée, par une minorité qui aimait dire du mal, mais la majorité ne s’occupait pas des affaires des autres et n’exprimait aucune opinion et seul un petit groupe avait pris pitié de Fak, mais seul Kaï lui porta secours. A la fin août, Fak reçut son dernier salaire.
Mais Chart précise que ce qui fit parler plus que Fak et sa belle-mère à la mi-septembre, fut un événement majeur : l’annonce de l’arrivée prochaine de l’électricité au village. (pp. 217-218) Chacun rêvant de télévision, réfrigérateur, fer à repasser, marmite à riz électrique, ventilateur…
Fak ne prit pas part à l’effervescence, et ne pensait qu’à une chose : aller acheter sa bouteille d’alcool de riz et se soûler. Il y eut la fin du carême, et une grande fête organisée six jours après. Certains villageois voulaient chasser Fak du village. Un Fak qui voyait sa condition physique se dégrader (Sa peau, ses chevilles, son gros ventre). Un Fak qui autrefois était montré en exemple par les mères, était devenu le croque-mitaine qui pouvait faire peur aux enfants (« Fak va venir t’emporter et les enfants s’arrêtaient de brailler » ). ( p. 225)
Au début novembre Fak va être escroqué par le directeur de l’école. (pp. 226-233) Fak n’ayant plus d’argent décida de retirer de l’argent chez le directeur à qui il avait confié son argent. Il lui restait alors 5000 baths. Mais le directeur prétendit qu’il ne lui avait jamais confié d’argent et fit l’homme en colère. Fak partit « en clamant haut et fort à tous les villageois : Ce salaud de directeur est un putain d’escroc ».
Fak était fou de rage, n’en avait que pour son argent volé et répétait sans cesse à qui voulait l’entendre que le directeur était un escroc, un fils de pute.
Mais on ne le crut pas.
Le premier fut le vieux bonze Pone, qui lui fit la leçon. Il se sentit assez soûl pour aller voir Kaï, qui se demanda encore ce qui s’était passé, l’entendant injurier le directeur (Enculé, fils de pute). Il le pria de parler moins fort craignant de nouvelles histoires. Mais Fak voulait convaincre Kaï (pp.241-242) mais celui-ci lui montra qu’il n’avait pas de preuves, pas de témoin. En repartant, il croisa son ancien ami Boun-Yuen et lui répéta l’escroquerie du directeur, mais celui-ci « se contenta de rire et, sans un mot reprit sa marche hâtive ». Fak alla alors chez le Kamnan, mais il titubait. Le Kamnan le mit en garde et le prévint que le directeur pouvait le poursuivre en justice pour diffamation et qu’il pouvait se retrouver en prison. (p.244) « Personne ne voulait le croire ». Son besoin d’alcool pressant, il alla emprunter 15 baths à Kaï, pour aller boire à l’échoppe de tante Tchuea, qui le chassa tant il était assommant. Les causeurs en avait assez de cette « ordure » avec ses mensonges sur le directeur, et se promirent que le lendemain, ils iraient demander au Kamnan et à l’abbé qu’ils le bannissent du village. Même les instituteurs Prîtcha et Mânit lui reprochèrent ses injures et lui conseillèrent de ne plus invectiver le directeur.
Le lendemain matin-lundi matin. (p.252)
Fak, souffrant, tourmenté, se demanda ce qu’il avait fait pour mériter un karma pareil. En colère, il se posa une série de pourquoi sur sa condition, sa solitude, sur le fait que l’on n’essayait pas de le comprendre, sur l’injustice qu’il subissait, sur l’impunité du directeur, alors que lui en prenait « toujours plein la gueule ».
On apprend que voilà deux ans que Fak vit avec Ma’ame Somsong.
Fak est mis en prison (pp. 254-268)
Ayant déjà bu, titubant, Fak alla injurier le directeur à l’école perturbant les cours en criant. Devant tous, il apostrophait le directeur « sans la moindre crainte. Hé, enculé, tu m’as volé mon argent ! Salopard ! Escroc ! ». Le directeur fit prévenir la police. Deux policiers vinrent l’arrêter et le mirent en prison. La nouvelle se répandit vite avec des commentaires qui disculpaient le directeur, une personne si prestigieuse, une personne hautement respectable. Fak était désespéré et incohérent. Après avoir proféré des menaces de tuer, de couper la tête du directeur, il se calma et promit au capitaine Somtchai de ne plus dire qu’il avait été escroqué, s’il le laissait sortir. Le lendemain soir, « un groupe de villageois conduits par le directeur et par Kamnan Yom vint rendre visite à Fak. Le directeur lui fit la scène du grand seigneur le conseillant, le pardonnant, si bien que certains villageois commentaient sa bonté, comparant sa miséricorde à celle d’un bonze. Le directeur poursuivit, l’invitant à rester chez lui quand il était soûl ; Kamnan Yom lui fit promettre, à voix haute. Fak promit. Le directeur poussa la perfidie jusqu’à lui donner un billet de vingt baths que Fak ne prit pas. Fak put sortir de prison. « Le directeur raconta encore au policiers à quel point il avait été généreux envers Fak par le passé ».
Fak repartit, blessé, éreinté, tremblant, des crampes au ventre avec …un besoin irrépressible d’alcool et une question inlassable : « Où est-ce que je vais trouver l’argent pour acheter à boire ? » (p. 270) Passant devant la véranda du dortoir des enseignants, Fak voulut emprunter 15 baths, mais l’instituteur Prîtcha lui donna 20 baths. Il envoya la veuve acheter une bouteille, souffrant, et pour la première fois, crachant du sang.
La mort de Fak. (pp. 276-278)
Il eut bien du mal à saisir la bouteille, mais après avoir bu cinq rasades, il eut la nausée, vomit et vomit, crachant à chaque fois du sang. Il tomba à la renverse, n’eut plus la force d’attraper la bouteille. Il eut froid, vomit de nouveau, un filet de sang sortit du nez, son corps tremblait violemment, « Les ailes de la mort l’enveloppèrent étroitement ». Fak était mort.
Chapitre 6 (pp. 279- 303)
Fak était mort. Oncle Kaï vint à la cabane. Il était ému, se rappelant du passé avec Fak. Il vit la veuve qui préparait le repas de Fak, qui l’appelait à venir manger, essayant de le réveiller. Oncle Kaï songea alors aux funérailles, réfléchissant à celui qui aurait pu les prendre en charge. Il pensa à l’abbé, au Kamnan, mais les estima trop haut pour Fak. Il alla alors voir le directeur pour l’informer et solliciter son avis. Le directeur l’assura qu’il allait prendre en charge la crémation, « mais … euh… mettez le corps de côté pour l’instant. » pour quelques jours, car il fallait auparavant célébrer l’anniversaire du révérend abbé.
Le directeur, Kaï, le concierge et maître Manit allèrent alors à la cabane. Le fossoyeur et le concierge revinrent avec un vieux cercueil qui avait déjà servi. Mais quand Kaï voulut envelopper Fak dans un linceul, la veuve Somsong se jeta sur lui. Il fallut la ligoter, mais ce ne fut pas facile, tant elle était agitée. Ils placèrent ensuite le cercueil dans la remise mortuaire. Le concierge revint à la cabane pour détacher la veuve, non sans difficulté, tant elle se débattait comme une folle. Libérée, elle sortit chercher son Fak. Les rumeurs alimentèrent de nouveau les commérages et l’annonce de la mort de Fak « fut accueillie avec jubilation par pas mal de gens ». Le directeur fut encensé pour sa générosité et la veuve poursuivit sa quête, anxieuse, comme « un chien perdu qui cherche son maître ». Lasse, elle s’allongea pour dormir au bord du chemin. Au matin, elle poursuivit sa recherche. Les habitants s’inquiétèrent de son comportement et certains allèrent consulter Kamnan Yom qui décida qu’il fallait l’interner à l’hôpital psychiatrique Khlon San à Bangkok. Cinq ou six jeunes gens eurent bien du mal à ligoter la veuve pour la mettre dans le minibus de Kliao ; Le sergent Hom assura le transfert. De retour le soir, ils apprirent aux habitants que la veuve s’était échappée de l’asile il y avait plusieurs années.
« Deux jours plus tard eut lieu le festival célébrant l’anniversaire du révérend père ».
Il fallut attendre six mois, que le four crématoire fusse construit, pour que le directeur puisse tenir sa promesse. Chart avec l’anaphore « Fak était mort » va montrer en contraste que même la crémation de Fak n’a pas été respectée, car « presque tout le monde la commune était venu, ne portant pas de noir, comme il était de coutume, par curiosité. Le cadavre de Falk « allait servir à démontrer le processus de crémation, comme dernière étape du plan de de construction que l’entrepreneur avait dû soumettre ». (p. 298) A quatre heures, quatre bonzes « assurèrent un service minimum en un temps record ». Oncle Kaï dut mettre seul le corps de Fak dans le four crématoire. Les villageois firent « la queue pour regarder les flammes à l’intérieur par l’ouverture. Tout un chacun était impressionné par ce nouveau pas en avant dans le développement de la commune ». (p. 300)
Kaï fut écoeuré, choqué. Il avait été trompé. Il alla acheter une bouteille d’alcool, pour la boire seul, pensant à Fak, aux moments passés ensemble. Il était indigné par cette profanation, que l’on ait pu se servir ainsi du corps de Fak, comme un chien ou un cochon. Las, ressassant, au bout du rouleau, oncle Kaï se fit la promesse que cette crémation serait la dernière. Il dut encore subir une infamie du directeur de l’école, qui le payant, ne trouva rien de mieux à dire que « De fait, maître Fak était quelqu’un d’assez utile. Même mort, son corps peut encore servir ». (p.302) Oncle Kaï eut envie de « lui cracher à la gueule ». Il pensa à la veuve, « resta assis à boire et à tenir compagnie à Fak jusqu’au soir ». (Fin du roman p. 303, suivi de la date du 25 octobre 1981).
« La Chute de Fak » de Chart Korbjitti, par la forme choisie est plus une fable qu’un roman, présentant une communauté villageoise vivant ensemble les mêmes valeurs, partageant les mêmes cérémonies religieuses, le carême, les crémations, les anniversaires des personnalités, les grands événements comme l’ouverture de la nouvelle école ou l’introduction de l’électricité, occasions aussi pour se divertir avec le repas pris en commun, le liké, le cinéma, le feu d’artifice … avec la pagode au centre du village. Mais une communauté intraitable avec ce qu’elle considère comme une immoralité affichée, dont Fak paiera le prix, par son exclusion. On peut voir aussi dans toute la deuxième partie, à travers l’exemple de Fak, les conséquences de l’addiction à l’alcool, avec sa dégradation physique et morale, sa déchéance, le regard méprisant de la communauté, une voie menant à la mort.
On peut constater aussi que nul ne peut savoir les aléas de son destin ; Ainsi en va-t-il de Fak, un être aimé, admiré, devenu un modèle pour sa communauté, et qui va par un acte pourtant généreux, voir sa vie basculer, et se trouver exclu, méprisé, haï.
Nul ne connait son karma.
*Editions du Seuil, mars 2003 (1981).
**Nos articles A142 et A143. Notre lecture de « Chiens fous » de l’auteur thaïlandais Chart Korbjitti.
(Asphalte éditions, 2010, pour l’édition française. Traduit du thaï par Marcel Barang. (Décembre 1987, Edition originale en 1988.)
***« Chart Korbjitti avec Saneh Sangsuk sont les deux romanciers les plus connus en France grâce au travail de leur traducteur Marcel Barang. Il est aussi reconnu en Asie du Sud-Est pour avoir reçu deux fois le prix du SEA-Write en 1982 pour « la Chute de Fak » et en 1993 pour « Sonne l’heure ». « La marginalité et le regard de la société sur l’individu restent ses thèmes de prédilection. On les retrouve dans ses deux grands romans, La Chute de Fak, et Les Chiens enragés qui mettent tous les deux en scène des personnages en rupture sociale. » (Louise Pichard-Bertaux)
« Chiens fous » était construit sur une structure complexe. Ainsi « Chouanchoua était arrivé à Phuket au chapitre 1 pour écrire un livre et rencontrer ses amis et on le retrouve au dernier chapitre, deux mois après, à Bangkok, avec ses amis Otto, partant pour l’Allemagne, Thaï avec sa femme reprenant l’affaire familiale, lui conseillant d’écrire l’histoire d’Otto, avec leur approbation. Entretemps, nous avions croisé P’tit Hip, de Toui d’Italie, de John, Tongtiou, Dam, Ratt, Jâh, Peuttt, Met Kanoun, Nit, Yong, Lan, etc, suivi, un moment, les histoires du Vieux, de Samlî, d’Otto et de Thaï, sur des périodes différentes, avec des retours en arrière, des entrelacements. Ils avaient bougés, changés, vécus bien des galères, partagés bien des bouteilles … en toute amitié. »
Avec « « La Chute de Fak » rien de tel.
On va suivre l’histoire sur 303 pages, d’UN personnage, Fak, jusqu’à sa mort, dans UN village paysan du centre de la Thaïlande, structurée chronologiquement, après un prologue, avec deux parties comportant 3 chapitres chacune, intitulées par l’auteur, « Dans les rets » et « Vers la liberté ».
Chart Korbjitti nous décrit donc la vie tragique de Fak dans un village paysan des années 60, avec son organisation religieuse bouddhiste et sociale, son calendrier, ses cérémonies, ses fêtes, ses rites, ses us et coutumes, et avec l’arrivée de la modernité (Avec l’introduction de l’électricité, de la télévision, des appareils électroménagers, etc) qui va bouleverser son mode de vie, mais avec toujours la pagode au centre du village.
--------------------------------
1ère lecture. Version courte.
Toute lecture impose des choix, essentiellement déduits du style, de la structure et de l’intrigue de l’œuvre. Il ne faut donc pas être étonné que nous avons préféré présenter une forme de résumé de « La chute de Fak » qui suivrait la chronologie marquée par les saisons, les cérémonies du temple, les semestres scolaires ; commençant par un prologue important qui raconte la vie de Fak avant l’événement qui va faire basculer sa vie. Il y a effectivement un avant et un après. Avant, c’était un fils exemplaire qui aidait son père à accomplir les tâches de concierge ; un novice ensuite qui passa en trois années, les trois examens de théologie au chef-lieu de la province, qui lui valurent d’être aimé et admiré par les bonzes et d’être un modèle pour les villageois. Certes il défroqua, mais pour ne pas se « prélasser » dans la religion, et aider son père qui trimait dur. Un bon fils, qui aida également son père pendant le service militaire de deux ans en lui envoyant sa solde.
Mais à son retour il vit que son père avait pris une jeune femme quelque peu dérangée. L’année suivante son père mourut et Fak eut la malheureuse idée de prendre pitié et de garder la veuve à la cabane. A la fête de la pagode, « Fak commença à perdre sa réputation. »
D’ailleurs le prologue (pp.11-21) en son premier paragraphe est explicite sur le sujet du roman :
« Ceci est l’histoire d’un jeune homme qui a pris pour femme une veuve qui n’avait pas toute sa raison. (L’histoire se serait sans doute terminée là si la veuve n’avait été la femme de son père.) Et par le plus grand des hasards cette histoire est arrivée au sein d’une petite communauté rurale, si bien qu’elle est devenue un scandale énorme qui a ébranlé les convictions morales de presque tout le monde dans le village, chacun y allant de ses commentaires et jugements en fonction de l’opinion qu’il s’était faite sur cette relation contre nature. »
On suivra ensuite les deux parties intitulées par l’auteur, « Dans les rets » et « Vers la liberté » qui correspondent bien à la vie tragique de Fak, à savoir un Fak se débattant dans les rets du malheur, essayant de dire sa vérité (Il a pris la veuve de son père par pitié, et non pour coucher avec elle) à des villageois qui l’avait condamné, et qui ne voyaient que ce qui pouvait l’accabler.
En effet, Fak prit le travail de concierge de son père et avait accueilli la veuve de son père, mais il n’avait pas vu là matière à scandale, ni que l’on aurait pu l’accuser d’immoralité, mais dès le début les agissements de la veuve de son père (montrant ses seins ) lui valurent des remontrances et une invitation à la contrôler ; Il en allait de la réputation de la commune.
Fak verra l’année suivante sa situation empirer, plus personne ne voulant discuter et même le saluer ; On ne l’invite plus, on ne fait plus appel à lui pour les préparations des cérémonies comme autrefois. Il se sent exclu de la communauté. Il le constatera à la fin de la 1ère partie où personne du village ne viendra à la crémation de son père. Il se sentira humilié. Mais à cette occasion, il rencontrera le fossoyeur Kaï –enfin- quelqu’un qui le croyait, et qui –comme lui- était un paria, un intouchable. Il eut la malheureuse idée de lui offrir un verre d’alcool de riz, puis de terminer ensemble la bouteille. Il se saoula, hurlant sa peine, reprochant à son père d’avoir pris femme lui valant la détestation du village. Mais le pouvoir de l’alcool fut une révélation.
La 2ème partie « Vers la liberté » racontera son addiction, sa dégradation jusqu’à sa mort (La liberté ?).
« Il s’émerveilla du pouvoir extraordinaire que contenait cette bouteille. Cet alcool lui avait permis de s’endormir facilement, d’oublier radicalement tous ses malheurs. Il lui avait redonné confiance en lui-même et sa peur, son anxiété avaient diminué et disparu au bout de quelques verres ». Il eut une révélation d’une « voie nouvelle (qui) le conduirait loin de toute entrave » contrairement à « la voie étroite de la vertu (qu’) il avait empruntée fort longtemps. »
La vie de Fak va alors basculer dans cette voie nouvelle qui n’ était que son addiction à l’alcool, avec ses conséquences : le travailleur acharné était devenu un mauvais travailleur, oubliant, bâclant, trainant à accomplir ses tâches avec une consommation d’alcool qui augmentait chaque jour et qui se terminait toujours à la tombée de la nuit, jusqu’à être ivre mort chez Kaï, le fossoyeur, qui était devenu son intime. Il se négligeait, sentait mauvais, portait des chemises sales. La situation ne faisait qu’empirer, ainsi le jour de Songkran, Il n’avait pas même pas entendu la cloche de la pagode, et il put voir que les gens s’écartaient, « rebutés par son odeur de fauve mêlée aux relents d’alcool. ».
L’abbé voulut l’aider et lui fit promettre de ne plus boire d’alcool. Il promit, mais dès le lendemain, sa souffrance était telle, qu’il ne put dormir, au milieu des vomis, des contractions, des nausées, des hallucinations, et renonça au petit matin. Les villageois y virent un nouveau scandale et ressentaient désormais de la haine pour lui.
A la rentrée scolaire, les élèves le méprisaient et l’appelaient « Fak le poivrot ». En effet, Fak parfois ne se réveillait pas le matin, et un jour des élèves durent même aller le réveiller pour qu’il puisse ouvrir l’école. Criant, ils surprirent la veuve nue sous la moustiquaire. Fak, se réveillant péniblement, les insulta et jeta avec force une petite noix de coco, qui malheureusement atteignit le front de l’élève Tang ; ce fut un nouvel incident. Les parents vinrent se plaindre à l’école, les instituteurs se réunirent ensuite pour discuter du comportement bizarre de Fak. Finalement, le directeur lui proposa de démissionner. Il alla ensuite se soûler chez Oncle Kaï et sur le chemin du retour à sa cabane, il fut agressé sauvagement par trois individus, roué de coups, eut le visage tuméfié, perdit quatre dents. Il n’osait plus sortir, et à la fin août, Fak reçut son dernier salaire.
Fak, souffrant, tourmenté, se demanda ce qu’il avait fait pour mériter un karma pareil. Mais Fak ne pensait qu’ à boire sa bouteille d’alcool de riz et se soûler, et sa condition physique se dégrada. Celui qui autrefois était montré en exemple par les mères, était devenu le croque-mitaine qui pouvait faire peur aux enfants (« Fak va venir t’emporter et les enfants s’arrêtaient de brailler » ).
Au début novembre Fak va même connaître la prison. Il n’avait plus d’argent pour boire et dut aller chercher un peu de son argent qu’il avait confié au directeur de l’école, mais celui-ci prétendit que Fak ne lui avait jamais donné d’argent. Furieux, Fak hurla partout que le directeur était un escroc, un fils de pute. Il n’hésita pas à venir l’injurier à l’école, perturbant les classes ; Le directeur fit prévenir la police, qui vint l’arrêter et le mit en prison. Fak essaya en vain de se disculper, mais personne ne le croyait. Il fut relâché avec la promesse de ne plus injurier le directeur qui passa pour un homme généreux et remarquable.
Fak repartit, blessé, éreinté, tremblant, des crampes au ventre avec … un besoin irrépressible d’alcool et une question : « Où est-ce que je vais trouver l’argent pour acheter à boire ? » Fak alla voit les trois instituteurs qui logeait à l’école et Prîtcha lui donna 20 baths. Il envoya la veuve acheter une bouteille, souffrant, et pour la première fois, crachant du sang. On assistera alors à la mort de Fak, qui « fut accueillie avec jubilation par pas mal de gens ». La veuve poursuivit sa quête, anxieuse, recherchant partout Fak comme « un chien perdu qui cherche son maître ». Les habitants s’inquiétèrent de son comportement et le Kamnan Yom décida de la faire l’interner à l’hôpital psychiatrique Khlon San à Bangkok ; On y apprit qu’elle s’en était échappée il y avait des années.
Le sixième et dernier chapitre était consacré à la crémation de Fak, où il allait encore subir un dernier outrage. Oncle Kaï demanda au directeur d’école s’il voulait assurer les frais des funérailles. Celui accepta à condition de les faire après le festival célébrant l’anniversaire du révérend père abbé. Il fallut néanmoins attendre six mois.
Certes « presque tout le monde de la commune était venu, ne portant pas de noir, comme il était de coutume », mais il n’était pas là pour Fak, « mais pour vérifier, si le processus de crémation du nouveau four crématoire était fiable ». Les villageois firent même « la queue pour regarder les flammes à l’intérieur par l’ouverture. Nul ne se soucia de Fak, qui eut droit à quatre bonzes qui « assurèrent un service minimum en un temps record ». Oncle Kaï dut mettre seul le corps de Fak dans le four crématoire.
Kaï fut écoeuré, choqué. Il avait été trompé. Il alla acheter une bouteille d’alcool, pour la boire seul, pensant à Fak, aux bons moments passés ensemble. Il était indigné par cette profanation, que l’on ait pu se servir ainsi du corps de Fak, comme un chien ou un cochon. Il eut même droit au mot du directeur qui estima que « maître Fak était quelqu’un d’assez utile. Même mort, son corps (pouvait) encore servir ». Oncle Kaï pensa à la veuve, et « resta assis à boire et à tenir compagnie à Fak jusqu’au soir ». Il décida que c’était sa dernière crémation.
« La Chute de Fak » de Chart Korbjitti, par la forme choisie est plus une fable qu’un roman, présentant une communauté villageoise vivant ensemble les mêmes valeurs, partageant les mêmes cérémonies religieuses, le carême, les crémations, les anniversaires des personnalités, les grands événements comme l’ouverture de la nouvelle école ou l’introduction de l’électricité, occasions aussi pour se divertir avec le repas pris en commun, le liké, le cinéma, le feu d’artifice … avec la pagode au centre du village. Mais une communauté intraitable avec ce qu’elle considère comme une immoralité affichée, dont Fak paiera le prix, par son exclusion. On peut voir aussi dans toute la deuxième partie, à travers l’exemple de Fak, les conséquences de l’addiction à l’alcool, avec sa dégradation physique et morale, sa déchéance, le regard méprisant de la communauté, une voie menant à la mort.
On peut constater aussi que nul ne peut savoir les aléas de son destin ; Ainsi en va-t-il de Fak, un être aimé, admiré, devenu un modèle pour sa communauté, et qui va par un acte pourtant généreux, voir sa vie basculer, et se trouver exclu, méprisé, haï. Nul ne connait son karma.
_____________________________________
2ème lecture. Version longue.
Chart Korbjitti nous décrit donc la vie tragique de Fak dans un village paysan des années 60, avec son organisation religieuse bouddhiste et sociale, son calendrier, ses cérémonies, ses fêtes, ses rites, ses us et coutumes, et avec l’arrivée de la modernité (Avec l’introduction de l’électricité, de la télévision, des appareils électroménagers, etc) qui va bouleverser son mode de vie, mais avec toujours la pagode au centre du village.
Quand un enfant naissait on le portait à la pagode pour que le révérend père lui trouve un nom propice et conforme à sa date de naissance. Quand un fils ou un petit fils était en âge de devenir novice, c’est à la pagode qu’on le faisait ordonner et qu’il venait résider. Bien entendu, quand quelqu’un mourait, c’est à la pagode qu’on apportait le corps pour l’incinérer. Pour quiconque voulait faire des rencontres, c’est à la pagode qu’il fallait se rendre. C’est à la pagode que le chef du village réunissait les villageois, que les officiels du district venaient établir les cartes d’identité individuelles et les services sanitaires vacciner contre les épidémies. Les vieux allaient à la pagode faire leurs dévotions et les policiers à la poursuite de malfaiteurs s’arrêtaient à la pagode pour prendre des renseignements. Individuellement et collectivement, tout le monde dépendait de la pagode. »
Un village où on va suivre pas à pas, chapitre après chapitre, la vie d’exclu de Fak, sa chute et sa mort. Le prologue (pp.11-21) en son premier paragraphe nous donne le sujet du roman :
« Ceci est l’histoire d’un jeune homme qui a pris pour femme une veuve qui n’avait pas toute sa raison. (L’histoire se serait sans doute terminée là si la veuve n’avait été la femme de son père.) Et par le plus grand des hasards cette histoire est arrivée au sein d’une petite communauté rurale, si bien qu’elle est devenue un scandale énorme qui a ébranlé les convictions morales de presque tout le monde dans le village, chacun y allant de ses commentaires et jugements en fonction de l’opinion qu’il s’était faite sur cette relation contre nature. »
Un prologue pour apprendre que Fak avait perdu sa mère si jeune qu’il ne s’en souvenait plus ; qu’à sa mort, son père et lui avaient été accueillis par la pagode. Ils y vivaient, y travaillaient au service des bonzes, y accomplissaient les menus travaux. Son père, quand il avait fini de travailler à la pagode, « se faisait embaucher pour désherber les cocoteraies, défricher la forêt, couper du bois de chauffe, retourner le sol, selon ce qu’on lui proposait. » Fak passa donc sa vie d’enfant à la pagode. Quand il eut 11 ans, on construisit une école à la pagode ; son père en devint le concierge payé par l’Education nationale. Fak y suivit les 4 années du primaire et se fit novice. Le novice Fak passa en trois années, les trois examens de théologie au chef-lieu de la province. Ce qui était remarquable et lui valut d’être aimé et admiré par les bonzes et les villageois. Mais au moment de prendre l’habit, il demanda à se défroquer, car il ne pouvait accepter de se « prélasser » dans la religion, alors que son père trimait dur. On ne put le dissuader et il « alla vivre dans la cabane avec son père, qu’il aidait dans son travail à l’école ». « Son monde à cette époque-là se partageait entre son père et la pagode ». Les villageois le voyaient alors comme un jeune homme modèle. Il fit son service pendant deux années, envoyant tout ce qu’il gagnait à son père.
Mais à son retour, il vit que son père vivait avec une jeune femme d’une trentaine d’années, alors que son père avait la cinquantaine. Il constata qu’elle n’avait pas toute sa tête et son père lui apprit les circonstances de leur rencontre, et qu’il l’avait prise par pitié et pour briser sa solitude.
On apprend que deux ans ont passé : l’école s’est agrandie, une route derrière la pagode menant au chef-lieu et à Bangkok avait été construite, le progrès était en marche. On annonçait même la venue de l’électricité. Et Fak avait continué plus que jamais à aider son père, et même les instituteurs, et toujours sans être payé. Mais l’année suivante son père mourut. Fak en fut meurtri. A la fête de la pagode, « Fak commença à perdre sa réputation. » C’est la fin du prologue.
La 1ère partie « Dans les rets » pouvait commencer.
Chapitre 1. ( pp. 25-52)
On se retrouve un mois après le décès du père de Fak qui est donc devenu le concierge de l’école. On va le suivre toute une journée, dans son travail quotidien (Ouvrir les seize classes, les nettoyer, ainsi que le bureau du directeur, mettre le drapeau. Recevoir les instructions du directeur pour les tâches du jour, rendre service aux enseignants, etc). Mais très vite, on apprend, par un reproche du directeur, que la veuve de son père a montré ses seins à maître Prîtchâ, qu’il doit la contrôler, qu’il en va de la réputation de la commune.
Allant, chez « tante Tchuea », chercher le repas des enseignants, il essuie des moqueries de Kliao avec des mots à double sens concernant ses relations avec la veuve Somsong. Revenant, le directeur estimant qu’il a été trop long, lui demande aussi s’il est pas allé « lutiné sa femme ». Le soir, les trois instituteurs logeant à l’école (dont Prîtchâ) le chambre également à propos de « sa femme ». Or le soir, Fak voyant, par surprise, les seins de la veuve, détourne le regard car il « n’avait jamais vu des seins de femme mûre ainsi ». Il n’arrêta pas d’y penser, mais refusa son offre de venir coucher avec lui.
Et dans les 5 dernières pages du chapitre, on va assister aux tourments de Fak, partagé entre le désir de chasser la veuve et de ne pas l’abandonner dans la rue. Il est conscient qu’il a perdu sa réputation, car personne ne croit qu’il ne l’a pas touchée, mais il ne comprend pas pourquoi, les villageois l’ont jugé et condamné, qu’ils le haïssent et le méprisent. A un moment, il s’en veut d’avoir pensé coucher avec la veuve ; bref, il se pose beaucoup de questions, d’interrogations et ne peut s’endormir, se rappelant des beaux souvenirs d’enfance. Il ne s’endormira qu’au petit matin.
Le chapitre se termine sur « Un jour de plus avait pris fin, un jour de Fak, un jour interminable ».
Fak était bien « dans les rets » du filet pour reprendre le titre de la partie. Il avait gardé la femme de son père, par pitié parce qu’elle était dérangée. C’était une innocente qui passait toute la journée à ramasser les objets jetés qui piquaient sa curiosité et les ramenait à la cabane ; c’était son trésor. Mais elle avait appelé Fak en public, « mon homme » ; la rumeur était partie. Tout le village était convaincu qu’il couchait donc avec la femme de son père décédé. Il était désormais coupable et avait perdu sa bonne réputation. Le modèle était devenu un sujet de honte. Et voilà qu’elle avait montré ses seins à un instituteur ! Il ne voyait pas comment s’en sortir.
Chapitre 2. (pp. 53-103)
Le premier paragraphe était sans équivoque :
« Le temps passa. Fak se débattait toujours dans les rets du malheur. Il avait beau essayer de s’en dégager, on aurait dit que plus il se débattait plus les mailles du malheur se resserraient sur lui, pareil à un poisson pris dans un filet qui, ayant beau vouloir se sauver, n’a aucune chance d’y parvenir. » (p.53)
Nous sommes à la saison chaude de l’année suivante et la situation a empiré.
Plus personne ne veut discuter avec Fak et même le saluer. Pendant les vacances scolaires certains continuaient de l’embaucher dans les plantations de cocotiers et de jujubiers, lorsque la veuve Somsong fit encore faire des siennes, en courant « le derrière à l’air ». Fak cria, courut après elle, la plaqua au sol pour lui remettre son sarong, mais elle se débattait en le rouant de coups. Par malchance, le vieux Pène et la vieille Saï ne virent que Fak « en train d’enlever son sarong à la Somsong en plein milieu de la plantation. » Le vieux Pène n’en croyait pas ses yeux et les traita de « Pourceaux ». Fak essaya de lui expliquer ce qui s’était réellement passé mais le vieux Pène ne voulut rien entendre.
Il crut même nécessaire quelques jours plus tard de convier les bonzes afin qu’ils récitent des prières pour apaiser les esprits. La cérémonie fut suivie d’un repas, comme il est de coutume, pendant lequel les convives commentèrent avec force plaisanteries et dégoût cette histoire. On se doute que ce scandale fit le tour du village et isola encore plus Fak. Il s’en rendit compte lorsque personne ne vint l’aider pour refaire la toiture de sa cabane, lui qui avait aidé tout le monde.
Ensuite, Chart décrit la cérémonie de Songkran, le jour de l’an thaï, à la pagode. (pp. 60-67) pendant laquelle Fak reste à l’écart. Mais le lendemain, lors de la cérémonie de l’hommage aux ancêtres, alors que Fak s’efforçait d’aider à la cérémonie, la veuve Somrong fit encore des siennes. Elle cherchait Fak en demandant « Z’avez pas vu mon homme ? » et éclata de rire devant quatre bonzes qui priaient auprès d’un stupa avec un groupe assis autour. Le plus jeune Song voulut la faire déguerpir, mais elle ne voulut pas. Il la tira alors par le bras et la battit. Elle s’enfuit ensuite, et s’arrêta et « remonta son sarong jusqu’à la taille, exhibant pour tout le groupe son mont broussailleux » (p.71) Song était fou de rage, car il voyait là « une insulte pour toute la famille et toutes les choses sacrées ». Fak, informé, fut en colère et se demanda pourquoi, elle ne lui attirait que des ennuis.
Mais quand il la vit avec ses plaies, il eut pitié. Et de retour dans la cabane, il la soigna avec du baume. « C’était la première fois qu’il la touchait de façon prolongée ; un certain courant passait entre eux, entre un désespéré et une aliénée emmurée dans sa solitude ». Il ressentit sa souffrance et ne comprit pas pourquoi on avait battu avec violence une femme qui n’avait plus toute sa tête. Le soir, il dut la repousser, car elle voulait dormir avec lui.
On se doute que la nouvelle refit le tour du village. Trois jours plus tard, le directeur de l’école vint même dans la cabane prévenir Fak de s’occuper de sa femme, sous peine la prochaine fois de l’envoyer dans un asile de fous.
Une nouvelle année scolaire commença. Fak reprit son travail de concierge, qui seul, lui donnait encore satisfaction, et l’empêchait de penser. Puis en avril, on lui demanda d’abattre un chien qui s’était fourvoyé dans l’enceinte de la pagode et qu’on soupçonnait d’avoir la rage. Fak s’en voulut, craignant sa vengeance. Ces nuits étaient toujours agitées. On continuait à l‘importuner et Fak était lassé de nier toute relation avec la femme de son père.
Chart décrit ensuite la cérémonie de crémation du père de Kamnan Yom et la fête grandiose qui a suivi. (pp.88-99) Le chapitre se termine sur une nouvelle tentative de la veuve pour coucher avec Fak et sur un rêve de Fak voyant tout le village assisté à la crémation de son père, le remerciant d’avoir pris soin de la veuve, et recevant une médaille du Kamnan (Chef du village) sous les applaudissements.
Chapitre 3. (pp.103- 153)
Le chapitre repart sur son rêve de voir enfin les villageois reconnaître la vérité, mais il sait que personne ne le croit. Pire, il va constater qu’à la saison des ordinations -une période importante dans la vie du village- il ne reçoit aucune invitation, et on ne fait même plus appel à lui, comme autrefois, pour aider à la préparation de la cérémonie. Il se sent exclu de la communauté. Chart décrira la cérémonie d’ordination (pp.106-108) qui sera suivi par le carême bouddhique.
Fak ressent encore plus la solitude quand il se rend compte qu’il ne peut se confier à personne pour le conseiller pour la crémation de son père. Le directeur de l’école toutefois l’approuve, et le révérend père décide que la date choisie sera le 7 septembre, période des vacances trimestrielles. Quelques jours avant, Fak alla inviter le chef du village, le kamnan, qui lui dit qu’il avait une réunion ce jour, d’autres se diront occupés ce jour également, et d’autres encore qui promirent s’ils étaient libres.
Fak se décida ensuite à rencontrer Kaï, le fossoyeur, pour les obsèques On apprend que Fak ne lui a jamais parlé, car il est considéré, comment quelqu’un de « sale » et dont les offrandes peuvent être contaminées. Ils parlèrent tout l’après-midi. Fal lui raconta tous ses malheurs, ses frustrations, sa solitude, et tint à ce que Kaï le croit sur le fait qu’il n’avait rien fait avec la veuve Somsong. Fak fut heureux d’entendre que Kaï le croyait. Voilà longtemps qu’il n’avait jamais été aussi heureux.
Plus tard, Kaï vint lui demander de l’argent pour acheter du combustible. Fak dut alors aller chez le directeur à qui il confiait son argent. Le directeur en profita pour le faire travailler sur un bassin à nettoyer, et ne put donner que 500 baths sur les 2000 dont Fak avait besoin, en l’invitant à revenir le lendemain, chercher le reste qu’il devait prendre à la banque. (pp.122-125) Le directeur lui demanda alors s’il pouvait lui acheter quelque chose en ville. Fak répondit quatre ensembles de robes et 50 fleurs de santal. Mais si le directeur était « gentil », il lui demanda aussi combien d’argent il lui restait, prétextant qu’il ne s’en souvenait jamais. Fak lui annonça 6000 baths. Le directeur fit l’étonné et lui fit signer le carnet. (p. 125)
Ensuite le chapitre se terminera sur les funérailles, la crémation du père de Fak, avec l’étonnement du fossoyeur qui n’avait jamais vu que l’on n’offrit pas de déjeuner aux bonzes venus prier, qu’il n’y eut pas de rafraichissements prévus, et de musique, et que personne ne soit venue pour aider. Mais le pire était à venir puisque Fak constata que personne n’était venu à la crémation. Devant le cercueil de son père sur le bûcher, il se lamenta « comme s’il avait perdu l’esprit », rappelant à son père que les gens le détestaient.
Il retrouva le fossoyeur qui lui offrit un verre d’alcool. Il venait de trouver –enfin- quelqu’un qui le croyait. Kaï lui révéla alors son statut de paria, d’intouchable : personne ne venait manger avec lui, craignant de se faire infecter, la peur les gosses le voyant, sa solitude. Ils étaient en sympathie et terminèrent la bouteille d’alcool de riz. Fak chancelant alla en acheter une autre et prit un carton vide pour y mettre les cendres de son père. Il se saoula, hurlant sa peine, reprochant à son père d’avoir pris femme lui valant la détestation du village. Kaï raccompagna Fak à sa cabane. Il s’étala, et dormit « comme s’il était mort. Cela faisait un an qu’il ne s’était pas endormi aussi facilement que cette nuit-là ». (p.153 ; Fin du chapitre»).
Deuxième partie. VERS LA LIBERTE.
Chapitre 4. (pp. 157-212)
Le lendemain, Fak se réveilla avec la gueule de bois, la tête comme un marteau-pilon, ne se souvenant plus de rien. Il découvrit, horrifié, la veuve Somsong, le corps nu, allongée derrière lui. Il ne voulut pas argumenter et très vite il vit la bouteille où restait un peu d’alcool et « il s’émerveilla du pouvoir extraordinaire que contenait cette bouteille. Cet alcool lui avait permis de s’endormir facilement, d’oublier radicalement tous ses malheurs. Il lui avait redonné confiance en lui-même et sa peur, son anxiété avaient diminué et disparu au bout de quelques verres ».
Il eut une révélation, il avait découvert une « voie nouvelle (qui) le conduirait loin de toute entrave » contrairement à « la voie étroite de la vertu (qu’) il avait empruntée fort longtemps. » (p.160)
Dès lors, la vie de Fak va basculer.
Le changement d’attitude de Fak. Le travailleur acharné oubliait certaines tâches à accomplir à l’école ; ce qu’il faisait auparavant en un jour, il l’accomplissait en trois jours ; il buvait un coup quand il allait chercher le repas des instituteurs, et sa consommation d’alcool augmentait chaque jour. « Certains jours, il s’endormait ivre sans avoir dîné ». « Près de la moitié de son salaire disparaissait dans sa gorge. » (p.165). Il se négligeait, sentait mauvais, portait des chemises sales. S’il put parvenir à s’acquitter de ses tâches jusqu’à la fin du semestre, il eut soin ensuite d’être soûl en permanence. Il avait encore honte de son comportement, mais continuait à boire tous les jours, jour après jour. A la tombée de la nuit, il allait voir Kaï, le fossoyeur, qui était devenu son intime, et il buvait avec lui jusqu’à être ivre mort.
La situation ne pouvait qu’empirer. Ainsi, le jour de Songkran, Il n’avait pas même pas entendu la cloche de la pagode. Quand il y arriva –enfin- pour aider, les gens s’écartaient, « rebutés par son odeur de fauve mêlée aux relents d’alcool. ».
La promesse de Fak à l’abbé. Ce même jour, l’abbé le convoqua, lui parla affectueusement, lui rappela sa vie de novice, essaya de lui expliquer qui il était autrefois et de lui montrer, ce qu’il était devenu et lui demanda de ne plus boire. Fak lui promit. (pp. 171-177) Il pensait alors qu’il allait prendre un nouveau départ.
Mais dès le lendemain, pour la journée des ancêtres, il ne put sortir, tant il souffrait, était irrité, agité, tourmenté, tremblant, en pleine confusion, son corps réclamant l’alcool. Il voulait tant respecter la promesse faite à l’abbé. Il ne put avaler son assiette de riz et vomit, eut des contractions, des nausées, des hallucinations. La nuit fut abominable ; et il ne dormit pas. A l’aube, il renonça et demanda à Ma’ame Somsong d’aller lui acheter de l’alcool de riz.
Chart décrit ensuite la cérémonie de l’hommage aux ancêtres (pp. 186-189), cette remémoration collective des morts, où Fak arrive titubant, avec un carton de bouteilles de whisky, dans lequel il avait déposé les cendres de son père. On l’accueillit dans le pavillon funéraire dans un silence de mort, ne manquant pas de dire que « le bougre était encore soûl ». Mais surtout on ne manqua de commenter ce qui apparaissait comme un nouveau scandale : Fak n’avait pas tenu sa promesse faite à l’abbé et lui avait donc manqué de respect. Les villageois ressentaient maintenant de la haine pour lui.
On assiste ensuite à une nouvelle rentrée scolaire. Fak n’avait plus cœur à travailler. Les élèves désormais le méprisaient et l’appelaient « Fak le poivrot ». Un matin, des élèves durent aller le réveiller pour qu’il puise ouvrir l’école. Criant, ils surprirent la veuve nue sous la moustiquaire. Fak, se réveillant péniblement, les insulta et jeta avec force une petite noix de coco, qui malheureusement atteignit le front de l’élève Tang, qui poussa un cri et qui menaça Fak d’un « Fils de pute ! Je vais le dire à mon père. » (p. 197) Nous avions là un nouvel incident. Les parents vinrent se plaindre à l’école et les instituteurs se réunirent ensuite pour discuter du comportement bizarre de Fak. Désormais, « Personne ne lui adressait la parole, pas même les trois enseignants qui aimaient échanger des plaisanteries avec lui. »(p. 198). Mais surtout, il fut convoqué par le directeur qui lui proposa de démissionner (pp. 200-204). Fak essaya en vain de se justifier.
Le soir, il se soûla et rendit visite au fossoyeur l’oncle Kaï, le seul avec qui il pouvait rire et plaisanter. Il lui apprit la nouvelle, l’informa qu’il avait cinq mille en dépôt chez le directeur, qu’il était incertain sur son avenir. Kaï lui conseilla d’arrêter de boire car il était en train de se détruire. Mais Fak finit les bouteilles et repartit chez lui, criant à tue –tête, vociférant, et fut agressé sauvagement par trois individus, roué de coups, eut le visage tuméfié, perdit quatre dents, et eut bien du mal à rejoindre sa cabane. (C’est la fin du chapitre 4)
Chapitre 5 (pp. 213- 278).
Fak avait été choqué, et n’osait plus sortir à la nuit tombée, même pour aller chez oncle Kaï. La correction reçue par Fak se répandit dans tout le village et fut commentée, par une minorité qui aimait dire du mal, mais la majorité ne s’occupait pas des affaires des autres et n’exprimait aucune opinion et seul un petit groupe avait pris pitié de Fak, mais seul Kaï lui porta secours. A la fin août, Fak reçut son dernier salaire.
Mais Chart précise que ce qui fit parler plus que Fak et sa belle-mère à la mi-septembre, fut un événement majeur : l’annonce de l’arrivée prochaine de l’électricité au village. (pp. 217-218) Chacun rêvant de télévision, réfrigérateur, fer à repasser, marmite à riz électrique, ventilateur…
Fak ne prit pas part à l’effervescence, et ne pensait qu’à une chose : aller acheter sa bouteille d’alcool de riz et se soûler. Il y eut la fin du carême, et une grande fête organisée six jours après. Certains villageois voulaient chasser Fak du village. Un Fak qui voyait sa condition physique se dégrader (Sa peau, ses chevilles, son gros ventre). Un Fak qui autrefois était montré en exemple par les mères, était devenu le croque-mitaine qui pouvait faire peur aux enfants (« Fak va venir t’emporter et les enfants s’arrêtaient de brailler » ). ( p. 225)
Au début novembre Fak va être escroqué par le directeur de l’école. (pp. 226-233) Fak n’ayant plus d’argent décida de retirer de l’argent chez le directeur à qui il avait confié son argent. Il lui restait alors 5000 baths. Mais le directeur prétendit qu’il ne lui avait jamais confié d’argent et fit l’homme en colère. Fak partit « en clamant haut et fort à tous les villageois : Ce salaud de directeur est un putain d’escroc ».
Fak était fou de rage, n’en avait que pour son argent volé et répétait sans cesse à qui voulait l’entendre que le directeur était un escroc, un fils de pute.
Mais on ne le crut pas.
Le premier fut le vieux bonze Pone, qui lui fit la leçon. Il se sentit assez soûl pour aller voir Kaï, qui se demanda encore ce qui s’était passé, l’entendant injurier le directeur (Enculé, fils de pute). Il le pria de parler moins fort craignant de nouvelles histoires. Mais Fak voulait convaincre Kaï (pp.241-242) mais celui-ci lui montra qu’il n’avait pas de preuves, pas de témoin. En repartant, il croisa son ancien ami Boun-Yuen et lui répéta l’escroquerie du directeur, mais celui-ci « se contenta de rire et, sans un mot reprit sa marche hâtive ». Fak alla alors chez le Kamnan, mais il titubait. Le Kamnan le mit en garde et le prévint que le directeur pouvait le poursuivre en justice pour diffamation et qu’il pouvait se retrouver en prison. (p.244) « Personne ne voulait le croire ». Son besoin d’alcool pressant, il alla emprunter 15 baths à Kaï, pour aller boire à l’échoppe de tante Tchuea, qui le chassa tant il était assommant. Les causeurs en avait assez de cette « ordure » avec ses mensonges sur le directeur, et se promirent que le lendemain, ils iraient demander au Kamnan et à l’abbé qu’ils le bannissent du village. Même les instituteurs Prîtcha et Mânit lui reprochèrent ses injures et lui conseillèrent de ne plus invectiver le directeur.
Le lendemain matin-lundi matin. (p.252)
Fak, souffrant, tourmenté, se demanda ce qu’il avait fait pour mériter un karma pareil. En colère, il se posa une série de pourquoi sur sa condition, sa solitude, sur le fait que l’on n’essayait pas de le comprendre, sur l’injustice qu’il subissait, sur l’impunité du directeur, alors que lui en prenait « toujours plein la gueule ».
On apprend que voilà deux ans que Fak vit avec Ma’ame Somsong.
Fak est mis en prison (pp. 254-268)
Ayant déjà bu, titubant, Fak alla injurier le directeur à l’école perturbant les cours en criant. Devant tous, il apostrophait le directeur « sans la moindre crainte. Hé, enculé, tu m’as volé mon argent ! Salopard ! Escroc ! ». Le directeur fit prévenir la police. Deux policiers vinrent l’arrêter et le mirent en prison. La nouvelle se répandit vite avec des commentaires qui disculpaient le directeur, une personne si prestigieuse, une personne hautement respectable. Fak était désespéré et incohérent. Après avoir proféré des menaces de tuer, de couper la tête du directeur, il se calma et promit au capitaine Somtchai de ne plus dire qu’il avait été escroqué, s’il le laissait sortir. Le lendemain soir, « un groupe de villageois conduits par le directeur et par Kamnan Yom vint rendre visite à Fak. Le directeur lui fit la scène du grand seigneur le conseillant, le pardonnant, si bien que certains villageois commentaient sa bonté, comparant sa miséricorde à celle d’un bonze. Le directeur poursuivit, l’invitant à rester chez lui quand il était soûl ; Kamnan Yom lui fit promettre, à voix haute. Fak promit. Le directeur poussa la perfidie jusqu’à lui donner un billet de vingt baths que Fak ne prit pas. Fak put sortir de prison. « Le directeur raconta encore au policiers à quel point il avait été généreux envers Fak par le passé ».
Fak repartit, blessé, éreinté, tremblant, des crampes au ventre avec …un besoin irrépressible d’alcool et une question inlassable : « Où est-ce que je vais trouver l’argent pour acheter à boire ? » (p. 270) Passant devant la véranda du dortoir des enseignants, Fak voulut emprunter 15 baths, mais l’instituteur Prîtcha lui donna 20 baths. Il envoya la veuve acheter une bouteille, souffrant, et pour la première fois, crachant du sang.
La mort de Fak. (pp. 276-278)
Il eut bien du mal à saisir la bouteille, mais après avoir bu cinq rasades, il eut la nausée, vomit et vomit, crachant à chaque fois du sang. Il tomba à la renverse, n’eut plus la force d’attraper la bouteille. Il eut froid, vomit de nouveau, un filet de sang sortit du nez, son corps tremblait violemment, « Les ailes de la mort l’enveloppèrent étroitement ». Fak était mort.
Chapitre 6 (pp. 279- 303)
Fak était mort. Oncle Kaï vint à la cabane. Il était ému, se rappelant du passé avec Fak. Il vit la veuve qui préparait le repas de Fak, qui l’appelait à venir manger, essayant de le réveiller. Oncle Kaï songea alors aux funérailles, réfléchissant à celui qui aurait pu les prendre en charge. Il pensa à l’abbé, au Kamnan, mais les estima trop haut pour Fak. Il alla alors voir le directeur pour l’informer et solliciter son avis. Le directeur l’assura qu’il allait prendre en charge la crémation, « mais … euh… mettez le corps de côté pour l’instant. » pour quelques jours, car il fallait auparavant célébrer l’anniversaire du révérend abbé.
Le directeur, Kaï, le concierge et maître Manit allèrent alors à la cabane. Le fossoyeur et le concierge revinrent avec un vieux cercueil qui avait déjà servi. Mais quand Kaï voulut envelopper Fak dans un linceul, la veuve Somsong se jeta sur lui. Il fallut la ligoter, mais ce ne fut pas facile, tant elle était agitée. Ils placèrent ensuite le cercueil dans la remise mortuaire. Le concierge revint à la cabane pour détacher la veuve, non sans difficulté, tant elle se débattait comme une folle. Libérée, elle sortit chercher son Fak. Les rumeurs alimentèrent de nouveau les commérages et l’annonce de la mort de Fak « fut accueillie avec jubilation par pas mal de gens ». Le directeur fut encensé pour sa générosité et la veuve poursuivit sa quête, anxieuse, comme « un chien perdu qui cherche son maître ». Lasse, elle s’allongea pour dormir au bord du chemin. Au matin, elle poursuivit sa recherche. Les habitants s’inquiétèrent de son comportement et certains allèrent consulter Kamnan Yom qui décida qu’il fallait l’interner à l’hôpital psychiatrique Khlon San à Bangkok. Cinq ou six jeunes gens eurent bien du mal à ligoter la veuve pour la mettre dans le minibus de Kliao ; Le sergent Hom assura le transfert. De retour le soir, ils apprirent aux habitants que la veuve s’était échappée de l’asile il y avait plusieurs années.
« Deux jours plus tard eut lieu le festival célébrant l’anniversaire du révérend père ».
Il fallut attendre six mois, que le four crématoire fusse construit, pour que le directeur puisse tenir sa promesse. Chart avec l’anaphore « Fak était mort » va montrer en contraste que même la crémation de Fak n’a pas été respectée, car « presque tout le monde la commune était venu, ne portant pas de noir, comme il était de coutume, par curiosité. Le cadavre de Falk « allait servir à démontrer le processus de crémation, comme dernière étape du plan de de construction que l’entrepreneur avait dû soumettre ». (p. 298) A quatre heures, quatre bonzes « assurèrent un service minimum en un temps record ». Oncle Kaï dut mettre seul le corps de Fak dans le four crématoire. Les villageois firent « la queue pour regarder les flammes à l’intérieur par l’ouverture. Tout un chacun était impressionné par ce nouveau pas en avant dans le développement de la commune ». (p. 300)
Kaï fut écoeuré, choqué. Il avait été trompé. Il alla acheter une bouteille d’alcool, pour la boire seul, pensant à Fak, aux moments passés ensemble. Il était indigné par cette profanation, que l’on ait pu se servir ainsi du corps de Fak, comme un chien ou un cochon. Las, ressassant, au bout du rouleau, oncle Kaï se fit la promesse que cette crémation serait la dernière. Il dut encore subir une infamie du directeur de l’école, qui le payant, ne trouva rien de mieux à dire que « De fait, maître Fak était quelqu’un d’assez utile. Même mort, son corps peut encore servir ». (p.302) Oncle Kaï eut envie de « lui cracher à la gueule ». Il pensa à la veuve, « resta assis à boire et à tenir compagnie à Fak jusqu’au soir ». (Fin du roman p. 303, suivi de la date du 25 octobre 1981).
-------------------------------
« La Chute de Fak » de Chart Korbjitti, par la forme choisie est plus une fable qu’un roman, présentant une communauté villageoise vivant ensemble les mêmes valeurs, partageant les mêmes cérémonies religieuses, le carême, les crémations, les anniversaires des personnalités, les grands événements comme l’ouverture de la nouvelle école ou l’introduction de l’électricité, occasions aussi pour se divertir avec le repas pris en commun, le liké, le cinéma, le feu d’artifice … avec la pagode au centre du village. Mais une communauté intraitable avec ce qu’elle considère comme une immoralité affichée, dont Fak paiera le prix, par son exclusion. On peut voir aussi dans toute la deuxième partie, à travers l’exemple de Fak, les conséquences de l’addiction à l’alcool, avec sa dégradation physique et morale, sa déchéance, le regard méprisant de la communauté, une voie menant à la mort.
On peut constater aussi que nul ne peut savoir les aléas de son destin ; Ainsi en va-t-il de Fak, un être aimé, admiré, devenu un modèle pour sa communauté, et qui va par un acte pourtant généreux, voir sa vie basculer, et se trouver exclu, méprisé, haï.
Nul ne connait son karma.
____________________________________________________________________
*Editions du Seuil, mars 2003 (1981).
**Nos articles A142 et A143. Notre lecture de « Chiens fous » de l’auteur thaïlandais Chart Korbjitti.
(Asphalte éditions, 2010, pour l’édition française. Traduit du thaï par Marcel Barang. (Décembre 1987, Edition originale en 1988.)
***« Chart Korbjitti avec Saneh Sangsuk sont les deux romanciers les plus connus en France grâce au travail de leur traducteur Marcel Barang. Il est aussi reconnu en Asie du Sud-Est pour avoir reçu deux fois le prix du SEA-Write en 1982 pour « la Chute de Fak » et en 1993 pour « Sonne l’heure ». « La marginalité et le regard de la société sur l’individu restent ses thèmes de prédilection. On les retrouve dans ses deux grands romans, La Chute de Fak, et Les Chiens enragés qui mettent tous les deux en scène des personnages en rupture sociale. » (Louise Pichard-Bertaux)