Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Photo datée de 1938 :
Si le prince Mahidol n’était pas destiné à ceindre la couronne, comme tous ses fils, le roi son père l’envoie suivre de solides études en Angleterre d’abord puis dans de très prestigieuses académies militaires prussiennes dans l’optique probable d’en faire le réorganisateur d’une marine défaillante. Vocation contrariée probablement ? Dès qu’il ne fut plus soumis à la tutelle probablement pesante du roi Rama V sur ses fils, il choisit de se lancer dans la médecine. N’étant pas non plus dans l’obligation d’épouser une fille de sang royal pour assurer l’avenir d’une dynastie, il épouse par inclinaison une jeune fille d’un milieu modeste née dans la province de Nonthaburi, limitrophe de Bangkok où elle n’avait pas connu une enfance et une jeunesse facile. Après ses études et celles de son épouse aux États-Unis, nous le retrouvons avant sa mort médecin dans un hôpital presbytérien de Chiangmaï, « prince médecin » mais peut-être aussi « médecin des pauvres » aux côtés de son épouse infirmière.
Après sa mort prématurée, la princesse mère a 29 ans et la charge de 3 jeunes enfants (six ans, quatre ans et un an et neuf mois). A cette époque, sa fille, la princesse Galyani Vadhana (กัลยาณิวัฒนา) était étudiante à l'école Rajini (โรงเรียนราชินี) (2). et les suivantes.
Le prince Ananda fut d’abord scolarisé en 1930 à l’école maternelle Mater Dei (มาแตร์เดอีวิทยาลัย) tenue par les religieuses catholiques Ursulines (3)
puis en 1932 à l’école Debsirin (โรงเรียนเทพศิรินทร์) (4) tandis que le prince Bhumibol reste à la maternelle à l'école Mater Dei.
Le 24 Juin 1932, la révolution met fin à la monarchie absolue. La situation est tendue pour les membres de la famille royale qui doivent quitter leurs postes gouvernementaux, ou pour beaucoup quitter le pays pour vivre à l'étranger.
Une sorte de conseil de famille présidé par la Reine Sri Savarindira (ศรีสวรินทิรา) (Savang Vadhana สว่างวัฒนา) sa belle-mère, sa fille, la princesse Valaya Alongkorn (วไลยอลงกรณ์), son fils adoptif et le Prince Rangsit, l’ami très cher du prince défunt, se réunit sur la décision à prendre pour elle et ses jeunes enfants. Ce dernier conseille alors Lausanne dont il connait la douceur du climat, la beauté des paysages et l’affabilité de la population. La princesse y était d’ailleurs passée avec son mari lors de leur voyage de noce en Europe. En avril 1933, la famille s’envole vers la Suisse avec un entourage restreint, dont une jeune parente de la mère, Boonruen Sopoj, qui épousera plus tard le général Chatichai Choonhavan (ชาติชาย ชุณหะวัณ) futur premier ministre. Les expériences passées (Russie, Birmanie et Chine) ou future (Laos et Vietnam) démontrait et démontrera que le sort réservé aux anciens membres des familles impériales ou royales pouvait en 1932 susciter des craintes légitimes.
Un coin du voile masquant partiellement cette « vie cachée » des deux petits princes et de leur sœur aînée a été levé par la publication en 2012 des souvenirs et de l’album des photographies du précepteur des deux princes, Cléon C. Séraïdaris, publié à l’initiative de son fils Lysandre C. Séraïdaris pour répondre à un vœu du roi Bhumipol 15 ans après la disparition de son précepteur (5). Cléon C. Séraïdaris estimait être astreint à un devoir de réserve. Son fils nous apprend que c’est à la suggestion du Roi que nous devons cette publication.
Nous ne relaterons pas ces souvenirs ni sous forme de panégyriques ou d’hagiographie ni de critiques systématiques ni d’un recueil de ragots ! Les panégyriques sont évidemment surabondants, les ouvrages critiques qui circulent plus ou moins sous le manteau, même interdits, ne le sont pas moins et tout autant les recueils de ragots (6) et nos propos s’arrêteront au retour du Roi Bhumibol dans son royaume en 1950. Ces souvenirs intimes sont ceux d’un homme qui fut précepteur des deux princes durant leurs études en Suisse, surveillant leurs études, les initiant aux sports et participant à leurs loisirs. Plus que leur père disparu, il apparait comme ayant tenu le rôle d’un grand frère ignorant alors qu’ils deviendraient l’un et l’autre roi de Thaïlande. Un confident aussi mais qui reste très discret sur quelques amourettes d’adolescents. C’est un homme cultivé et instruit :
C’est aussi un sportif de haut niveau, pratiquant le tennis :
... et le ski aussi, comme nous le verrons plus bas.
Amateur d’automobiles, nous le voyons ici poser fièrement en 1929 devant cette superbe Amilcar CGSS :
… et (la photo est datée de 1924, avant donc son entrée en fonction) sur le marchepied de ce somptueux cabriolet Mercédès :
La famille vit à Pully, un quartier chic de Lausanne dans une belle villa (villa Vadhana) qui n’est toutefois pas un palais :
La princesse a toujours le goût des fleurs :
Elle l’a fait partager à Ananda que nous voyons l’arrosoir à la main :
Comme le fera ensuite son fils Bhumipol qui a hérité de cette passion, elle a toujours un appareil photo à la main :
Elle ne déteste pas non plus les belles automobiles puisqu’elle pose en 1936 devant cette très belle Hotchkiss avec son fils Bhumipol sur les genoux.
Les enfants sont scolarisés dans des établissements distingués :
La princesse Galyani dont le précepteur ne nous parle guère fréquente l’ « Ecole Supérieure des Jeunes Filles de la Ville de Lausanne » avant de fréquenter l’ « International School of Geneva » ...
et de rejoindre ensuite la Faculté des sciences section chimie et obtenir ensuite un diplôme de Sciences sociales pédagogiques. Ses deux jeunes frères lui sont attachés avec passion : « Votre beauté éclipse celle des fleurs, votre teint fait honte aux roses. Votre peau ridiculise le satin. Vous êtes un ange, une fleur humaine. […] Je voudrais vivre et mourir à vos côtelettes… euh ! A vos côtés ». Poésie de leur âge tendre, fraîcheur des sentiments et humour de potaches, cette bluette dédiée par deux jeunes garçons à leur sœur de 18 ans traduit la douceur des années joyeuses de cette famille en exil. « Nous étions des petits Suisses comme les autres » disait la princesse Galyani.
Les deux garçons se rendent tous les jours en bicyclette à l’ « Ecole nouvelle de la Suisse romande » en croisant le facteur. Ce n’est pas, et ce n’était probablement pas alors, une école de quartier puisque les tarifs actuels pour l’année scolaire 2015-2016 sont le l’ordre de 50.000 francs suisses (7) soit 1.750.000 baths au cours de ce jour.
Ils sont très simplement inscrits sur les noms de Ananda et Phumipol Mahidol. Leur scolarité est celle de leurs camarades sans autres privilèges dans les salles de classe ou les cours de récréation…
Ou lors des sorties de groupe :
Tous deux sont timides et réservés, leur physique le démontre, mais sont de bons camarades et surtout d’excellents élèves :
Leur mère a voulu pour eux une éducation rigoureuse leur disant, une fois que fut prise à Bangkok la décision d’attribuer la couronne à Ananda qu’ « un roi se doit d’être érudit, travailler beaucoup et savoir obéir avant de vouloir commander ». Voilà des préceptes très helvétiques, aux antipodes de la culture royale prévalant jusque-là.
Leur précepteur participe à leurs loisirs, c’est ainsi qu’il initie Ananda au modélisme, passion que ne semble pas partager Bhumipol :
Des excursions en famille :
De joyeux piqueniques :
une fête costumée :
Ou la construction d’un igloo en saison :
Les sports d’hiver sont naturellement omniprésents :
Ski :
Patin à glace :
Hockey :
Bobsleigh :
Lorsque la famille prend des vacances à Antibes en 1938, qui n’était pas alors tout comme aujourd’hui un lieu de villégiature du tourisme de masse, la princesse mère (alors que les bambins sont probablement en train de batifoler sur la plage) n’oublie pas le précepteur :
Mais la passion de Bhumipol, c’est avant tout l’automobile.
Il a une évidente admiration pour celui qui dans le monde automobile est connu comme « prince Bira » (Birabongse Bhanudej พีรพงศ์ภาณุเดช), son proche cousin, le plus grand de tous les coureurs automobiles thaïs (8).
Il le photographie en 1936 (photo non localisée mais probablement prise au Grand prix de Berne en août 1935) au volant d’une ERA (English racing automobile), une « voiturette » dont le moteur de 1,5 litres suralimenté au méthanol a une puissance de plus de 200 cv, autant qu’un moteur 12 cylindres de 6 litres Delage !
Et (photo non datée ni localisée mais probablement prise sur un circuit privé en 1937) d’une Mazerati :
Nous le retrouvons (sa première automobile ?) devant sa Fiat Topolino, celle que nous avons connu en France sous le nom de Simca 5.
Mais il est également l’heureux possesseur de deux somptueuses Delahaye, une conduite intérieure et un coupé :
C’est un jeune homme de son âge. Au volant de ces bolides, il est alors capable de relier Lausanne à Genève à 140 km/h de moyenne, alors que l’autoroute n’existait pas. C’est au volant de ces bolides aussi qu’il fait de fréquentes escapades à Paris, pour assister à des sessions de jazz. Cette passion faillit lui coûter la vie quand le 4 octobre 1948, son coupé Delahaye s’écrase contre un camion sur la route entre Lausanne et Morges :
Il y perdit l’œil droit (ce qui explique tout simplement son regard souvent un peu flou derrière ses lunettes, que d’aucun - ragots – qualifient de « méprisant ») et tout espoir de rejoindre un jour son cousin Bira dans le panthéon des grands champions.
Mais il y a conservé la passion des belles automobiles : un autre somptueux coupé Delaye toujours en sa possession, a été entièrement refait à neuf et climatisée il y a peu de temps par un artisan français qui souhaite conserver l’anonymat. Merci à notre source anonyme.
C’est alors que sa passion pour la musique va s’exercer à plein.
D’où lui vient-elle ? Il n’était pas dans la mission du précepteur d’apprendre le solfège à ses élèves. C’est à sa fille, la princesse Siridhorn que nous devons d’avoir recueilli ses souvenirs à l’occasion de la publication en 1996 à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’accession au trône de l’ouvrage au tirage confidentiel « The musical composition of his majesty king Bhumibol Adulyadej of Thailand » (9).
Dans ses premières années en Thaïlande et ensuite en Suisse, il avait appris le chant mais pas le solfège. Sa mère lui fit donner à l’âge de 13 ans des leçons d’accordéon qui ne l’intéressèrent pas. Sa sœur aînée et son frère Ananda prirent des leçons de piano.
A l’âge de 14 ou 15 ans, à l’occasion d’une soirée dans un hôtel, après avoir entendu un orchestre, il souhaite alors jouer de la trompette. Sa mère s’y oppose compte tenu des efforts physiques trop importants mais trouve un compromis et lui concède le saxophone. Son professeur de musique est alors Monsieur Weybrecht, un alsacien germanophone qui parlait français avec l’accent allemand. Il utilise alors un saxophone d’occasion payé 300 francs suisses, celle qu’il appelait affectueusement « mon gouvernement » - sa mère - y contribue pour la moitié. Ananda pour sa part se met à la clarinette. Le professeur alsacien donne à chacun séparément des leçons d’une heure et demie deux fois par semaine. Il est satisfait et ils forment un petit orchestre à trois, deux saxos et la clarinette. C’est un autre musicien, Khun Phra Jain Duriyang (คุณพระเจนดุริยางดค์). Grâce à son frère Ananda, il découvre le jazz, et s’initie à l’improvisation et à la composition à l’écoute de Sidney Bechet, de Louis Amstrong, Duke Ellington, Count Basie et Johnny Hodges dont il s’achète lui-même les disques malgré la résistance passive de sa mère, qui veut bien mettre le « gouvernement » à contribution lorsqu’il s’agit de musique classique, mais pas lorsqu’il s’agit de jazz.
Il s’initie aussi sans maître à la guitare et à la flute.
Il signe sa première composition à 18 ans, avant son accession au trône : Candlelight Blues (แสงเทียน) un blues très mélancolique sur les paroles du prince Chakrabandh Pensiri (จักรพัน์เพ็ญศิริ).
Les circonstances l’ont empêché de devenir un grand coureur automobile. « S’il n’avait été roi, il aurait été un jazzman de génie » aurait dit de lui Louis Amstrong qui l’a entendu jouer du saxophone lors de son voyage aux États-Unis en 1960.
Les « circonstances » ce sont aussi l’abdication de Prajadhipok le 2 Mars 1935. Son frère est désigné comme souverain âgé de seulement neuf ans. «Je ne suis pas heureux de devenir roi, parce que je voudrais pouvoir m’amuser encore » déclare ce gamin. Il rentrera étrenner son trône après avoir terminé ses études en décembre 1945 et effectué une brève visite dans son royaume en 1938.
A l’occasion de ce voyage, les deux élèves n’oublient pas leur percepteur :
Une carte de Marseille :
Une autre de Bangkok :
Ils lui envoient même un courrier malicieux contenant le cadavre d’un moustique :
A son arrivée à l’aéroport de Bangkok en 1945, le jeune roi ne parait pas manifester une joie débordante.
Louis Mountbatten, commandant des forces britanniques en Asie du Sud-Est, l’a rencontré à Bangkok en janvier 1946 et le décrit comme « un garçon myope avec une figure pathétique et solitaire ». Il sera mystérieusement assassiné six mois plus tard.
Le précepteur, le « grand frère » a été immédiatement prévenu par téléphone ce qui ne devait pas être une mince affaire à cette époque :
Il sera aussi l’un des premiers que la reine-mère remerciera :
Elle frappe évidemment de plein fouet la famille et plus encore son jeune frère. Si le conseil de régence l’a désigné comme le successeur légitime de son frère, la question s’est posé de savoir s’il accepterait cette charge.
Il semble qu’il ait souhaité rester en Suisse pendant encore deux ou trois ans afin de compléter son éducation…ou réfléchir sur son retour ? Son « gouvernement » et lui-même ont pu craindre pour sa vie puisqu’après le décès d’Ananda les Suisses organiseront une protection policière discrète.
Par ailleurs Pridi aurait considéré qu’un retour à la monarchie était inopportun compte tenu de ce que le jeune prince était immature, remarquable mais surtout ridicule contradiction de la part de celui qui avait tout fait pour faire monter sur le trône en 1935 un gamin de 9 ans ! La reine mère par ailleurs ne s’est jamais gêné pour cacher son aversion et son mépris pour les politiciens au pouvoir, sous influence certainement des membres de la famille royale qui n’ont pas tous pardonné aux auteurs du coup d’état de 1932. Mais elle avait des raisons personnelles à cela : Lors de la désignation de son fils aîné comme roi, le gouvernement de ces pieux démocrates lui avait généreusement attribué le titre de « Mère Sri Sangwan » (แม่ศริสังวาลย์) qui était à tout le moins désobligeant puisque soulignant ses origines roturières !
Lorsque sa fille avait en 1944 effectué un mariage « inégal », les mêmes démocrates l’avaient dégradée de son rang princier. Plus désagréable encore, lorsque le gouvernement avait créé en 1936 le « Crown property Bureau » (สำนักงานรัพย์สินส่วนพระมหาษัตริย์) chargé de gérer les biens de la couronne un certain nombre de députés dont celui d’Ubonrachatani avait ouvertement posé la question de leur « redistribution » c’est-à-dire d’une spoliation pure et simple. Si enfin les circonstances susdites nous laissent à penser que la famille ne vivait pas dans la pauvreté et n’avait pas été contrainte de « tirer le diable par la queue », il semble que le gouvernement ait tout fait pour lui être désagréable, sur le plan financier tout au moins puisque, dès l’accession formelle de Bhumibhol sur le trône, dans une lettre à Pridi datée de 1946, le lieutenant-colonel Supphasawatwongsanit Sawatdiwat (พันโทหม่อมเจ้าศุภ สวัสดิ์วงศ์สนิทสวัสดิวัตน์) se plaignait des difficultés financières de la famille royale. Le refus potentiel de Bhumibhol de monter sur le trône a inquiété et plus encore les chancelleries soucieuses du devenir d’un pays (10).
Le roi se décide à rejoindre son pays et son trône en 1950.
Mais ces années les années lausannoises ont énormément compté. Il y vécut en famille jusqu’à 23 ans, des années qui comptent double. Il parle le français sans le moindre accent, alors mieux que sa langue maternelle dit-on. Il n’oubliera jamais son précepteur et « grand frère » qu’il couvrira d’honneurs et pas plus la ville de Lausanne.
Il souhaitera que sa première fille naisse à la clinique de Montchoisi à Lausanne. A l’inverse de bien des souverains, l’ingratitude n’est pas l’un de ses défauts.
Au fil des 477 pages et des 22 chapitres de l’ouvrage de Lysandre C. Séraïdaris nous découvrons une famille qui n’est plus un « foyer clos, portes refermées, possession jalouse du bonheur ». Le roi a passé 17 ans de sa vie en Suisse francophone partagé entre l’influence de sa mère, son « gouvernement », probablement importante sinon pesante, celle, amicale, d’un précepteur hors pair, l’amour de sa sœur et celui – brisé – de son frère aîné, des études brillantes et la pratique de sports violents, des liens amicaux qu’il n’a jamais rompu et une passion pour la musique, une passion sans vices. Si nous étions de fins psychologues, nous pourrions penser qu’il y a là de quoi expliquer le déroulement de son règne qui ne fut assurément pas un long fleuve tranquille.
Notes
(1) Louis XIV qui n’a pas le record a régné 72 ans 110 jours.
(3) http://www.materdei.ac.th/2014/
(4) http://www.debsirinalumni.org/history.php?id_his=3&page=1&group=1
(5) พระบาทสมเด็จพระเจ้าอยู่หัว ๆ รัชกาลที่ ๙ และเจ้านายไทยในโลซานน์ publié chez Slatkine à Genève – ISBN 978 2 8321 0539 9 – cet ouvrage a fait l’objet d’une édition en français « Le roi Bhumibol et la famille royale de Thaïlande à Lausanne » publié en 2015 toujours chez Slatkine – ISBN 978 2 8321 0662 4.
(6) Nous en avons trouvé un bel exemple dans un article du 23 août 2008 du Figaro qui entre autres âneries, fait des princes les fils de Rama VII.
(8) Birabongse Bhanudej est encore une figure atypique de la famille royale. Il fut l’un des plus grands « gentlemen-drivers » de son époque, connu pour son élégance : il portait un smoking sous sa combinaison de pilote. Il se lance dans le sport automobile en 1935 grâce aux finances de son cousin, le Prince Chula Chakrabongse (จุลจักรพงษ์) qui crée, après les premiers succès son écurie, la White Mouse Racing pour laquelle Bira choisit les couleurs de course du Siam, bleu pâle et jaune.
(9) Cet ouvrage a été publié par l’école Chitralada de Bangkok (ISBN 974 864 4 9) considérée comme l’école la plus élitiste du pays.
(10) Nous trouvons de nombreuses copies des télégrammes ou des correspondances confidentielles adressés par les légations anglaises ou américaines à leurs ministres de tutelle sur ces sujets brulants sur le site allemand « Chronik Thailands » (กาลานุกรมสยามประเทศไทย) de Alois Payer pour les années 1946 et les suivantes.
Il s’initie aussi sans maître à la guitare et à la flute. Il signe sa première composition à 18 ans, avant son accession au trône : Candlelight Blues (แสงเทียน) un blues très mélancolique sur les paroles du prince Chakrabandh Pensiri (จักรพัน์เพ็ญศิริ). Il a joué aux côtés de Benny Goodman, Jack Teagarden et Gene Krupa.
Vidéo
https://www.youtube.com/watch?v=W9jIteYzYrw
Les circonstances l’ont empêché de devenir un grand coureur automobile. « S’il n’avait été roi, il aurait été un jazzman de génie » aurait dit de lui Louis Amstrong qui l’a entendu jouer du saxophone lors de son voyage aux États-Unis en 1960.
***
Les « circonstances » ce sont aussi l’abdication de Prajadhipok le 2 Mars 1935. Son frère est désigné comme souverain âgé de seulement neuf ans. «Je ne suis pas heureux de devenir roi, parce que je voudrais pouvoir m’amuser encore » déclare ce gamin. Il rentrera étrenner son trône après avoir terminé ses études en décembre 1945 et effectué une brève visite dans son royaume en 1938.
A l’occasion de ce voyage, les deux élèves n’oublient pas leur percepteur :
Carte de Marseille
Carte de Bangkok
Ils lui envoient même un courrier malicieux contenant le cadavre d’un moustique
Photo
A son arrivée à l’aéroport de Bangkok en 1945, le jeune roi ne parait pas manifester une joie débordante.
Louis Mountbatten, commandant des forces britanniques en Asie du Sud-Est, l’a rencontré à Bangkok en janvier 1946 et le décrit comme « un garçon myope avec une figure pathétique et solitaire ». Il sera mystérieusement assassiné six mois plus tard.
Le précepteur, le « grand frère » a été immédiatement prévenu par téléphone ce qui ne devait pas être une mince affaire à cette époque :
photo
Il sera aussi l’un des premiers que la reine-mère remerciera :
Photo
Cette disparition tragique frappe ses anciens condisciples de l’Ecole nouvelle :
Bulletin des anciens
Elle frappe évidemment de plein fouet la famille et plus encore son jeune frère. Si le conseil de régence l’a désigné comme le successeur légitime de son frère, la question s’est posé de savoir s’il accepterait cette charge. Il semble qu’il ait souhaité rester en Suisse pendant encore deux ou trois ans afin de compléter son éducation…ou réfléchir sur son retour ? Son « gouvernement » et lui-même ont pu craindre pour sa vie puisqu’après le décès d’Ananda les Suisses organiseront une protection policière discrète. Par ailleurs Pridi aurait considéré qu’un retour à la monarchie était inopportun compte tenu de ce que le jeune prince était immature, remarquable mais surtout ridicule contradiction de la part de celui qui avait tout fait pour faire monter sur le trône en 1935 un gamin de 9 ans ! La reine mère par ailleurs ne s’est jamais gêné pour cacher son aversion et son mépris pour les politiciens au pouvoir, sous influence certainement des membres de la famille royale qui n’ont pas tous pardonné aux auteurs du coup d’état de 1932. Mais elle avait des raisons personnelles à cela : Lors de la désignation de son fils aîné comme roi, le gouvernement de ces pieux démocrates lui avait généreusement attribué le titre de « Mère Sri Sangwan » (แม่ศริสังวาลย์) qui était à tout le moins désobligeant puisque soulignant ses origines roturières ! Lorsque sa fille avait en 1944 effectué un mariage « inégal », les mêmes démocrates l’avaient dégradée de son rang princier. Plus désagréable encore, lorsque le gouvernement avait créé en 1936 le « Crown property Bureau » (สำนักงานรัพย์สินส่วนพระมหาษัตริย์) chargé de gérer les biens de la couronne un certain nombre de députés dont celui d’Ubonrachatani avait ouvertement posé la question de leur « redistribution » c’est-à-dire d’une spoliation pure et simple. Si enfin les circonstances susdites nous laissent à penser que la famille ne vivait pas dans la pauvreté et n’avait pas été contrainte de « tirer le diable par la queue », il semble que le gouvernement ait tout fait pour lui être désagréable, sur le plan financier tout au moins puisque, dès l’accession formelle de Bhumibhol sur le trône, dans une lettre à Pridi datée de 1946, le lieutenant-colonel Supphasawatwongsanit Sawatdiwat (พันโทหม่อมเจ้าศุภ สวัสดิ์วงศ์สนิทสวัสดิวัตน์) se plaignait des difficultés financières de la famille royale. Le refus potentiel de Bhumibhol de monter sur le trône a inquiété et plus encore les chancelleries soucieuses du devenir d’un pays (10).
Le roi se décide à rejoindre son pays et son trône en 1950.
Photo
Mais ces années les années lausannoises ont énormément compté. Il y vécut en famille jusqu’à 23 ans, des années qui comptent double. Il parle le français sans le moindre accent, alors mieux que sa langue maternelle dit-on. Il n’oubliera jamais son précepteur et grand frère qu’il couvrira d’honneurs et pas plus la ville de Lausanne.
Photo
Il souhaitera que sa première fille naisse à la clinique de Montchoisi à Lausanne. A l’inverse de bien des souverains, l’ingratitude n’est pas l’un de ses défauts.
Au fil des 477 pages et des 22 chapitres de l’ouvrage de Lysandre C. Séraïdaris nous découvrons une famille qui n’est plus un « foyer clos, portes refermées, possession jalouse du bonheur ». Le roi a passé 17 ans de sa vie en Suisse francophone partagé entre l’influence de sa mère, son « gouvernement », probablement importante sinon pesante, celle, amicale, d’un précepteur hors pair, l’amour de sa sœur et celui – brisé – de son frère aîné, des études brillantes et la pratique de sports violents, des liens amicaux qu’il n’a jamais rompu et une passion pour la musique, une passion sans vices. Si nous étions de fins psychologues, nous pourrions penser qu’il y a là de quoi expliquer le déroulement de son règne qui ne fut assurément pas un long fleuve tranquille.
Notes
(1) Louis XIV qui n’a pas le record a régné 72 ans 110 jours.
(3) http://www.materdei.ac.th/2014/
(4) http://www.debsirinalumni.org/history.php?id_his=3&page=1&group=1
(5) พระบาทสมเด็จพระเจ้าอยู่หัว ๆ รัชกาลที่ ๙ และเจ้านายไทยในโลซานน์ publié chez Slatkine à Genève – ISBN 978 2 8321 0539 9 – cet ouvrage a fait l’objet d’une édition en français « Le roi Bhumibol et la famille royale de Thaïlande à Lausanne » publié en 2015 toujours chez Slatkine – ISBN 978 2 8321 0662 4.
(6) Nous en avons trouvé un bel exemple dans un article du 23 août 2008 du Figaro qui entre autres âneries, fait des princes les fils de Rama VII.
(8) Birabongse Bhanudej est encore une figure atypique de la famille royale. Il fut l’un des plus grands « gentlemen-drivers » de son époque, connu pour son élégance : il portait un smoking sous sa combinaison de pilote. Il se lance dans le sport automobile en 1935 grâce aux finances de son cousin, le Prince Chula Chakrabongse (จุลจักรพงษ์) qui crée, après les premiers succès son écurie, la White Mouse Racing pour laquelle Bira choisit les couleurs de course du Siam, bleu pâle et jaune.
(9) Cet ouvrage a été publié par l’école Chitralada de Bangkok (ISBN 974 864 4 9) considérée comme l’école la plus élitiste du pays.
(10) Nous trouvons de nombreuses copies des télégrammes ou des correspondances confidentielles adressés par les légations anglaises ou américaines à leurs ministres de tutelle sur ces sujets brulants sur le site allemand « Chronik Thailands » (กาลานุกรมสยามประเทศไทย) de Alois Payer pour les années 1946 et les suivantes.
Il s’initie aussi sans maître à la guitare et à la flute. Il signe sa première composition à 18 ans, avant son accession au trône : Candlelight Blues (แสงเทียน) un blues très mélancolique sur les paroles du prince Chakrabandh Pensiri (จักรพัน์เพ็ญศิริ). Il a joué aux côtés de Benny Goodman, Jack Teagarden et Gene Krupa.
Vidéo
https://www.youtube.com/watch?v=W9jIteYzYrw
Les circonstances l’ont empêché de devenir un grand coureur automobile. « S’il n’avait été roi, il aurait été un jazzman de génie » aurait dit de lui Louis Amstrong qui l’a entendu jouer du saxophone lors de son voyage aux États-Unis en 1960.
***
Les « circonstances » ce sont aussi l’abdication de Prajadhipok le 2 Mars 1935. Son frère est désigné comme souverain âgé de seulement neuf ans. «Je ne suis pas heureux de devenir roi, parce que je voudrais pouvoir m’amuser encore » déclare ce gamin. Il rentrera étrenner son trône après avoir terminé ses études en décembre 1945 et effectué une brève visite dans son royaume en 1938.
A l’occasion de ce voyage, les deux élèves n’oublient pas leur percepteur :
Carte de Marseille
Carte de Bangkok
Ils lui envoient même un courrier malicieux contenant le cadavre d’un moustique
Photo
A son arrivée à l’aéroport de Bangkok en 1945, le jeune roi ne parait pas manifester une joie débordante.
Louis Mountbatten, commandant des forces britanniques en Asie du Sud-Est, l’a rencontré à Bangkok en janvier 1946 et le décrit comme « un garçon myope avec une figure pathétique et solitaire ». Il sera mystérieusement assassiné six mois plus tard.
Le précepteur, le « grand frère » a été immédiatement prévenu par téléphone ce qui ne devait pas être une mince affaire à cette époque :
photo
Il sera aussi l’un des premiers que la reine-mère remerciera :
Photo
Cette disparition tragique frappe ses anciens condisciples de l’Ecole nouvelle :
Bulletin des anciens
Elle frappe évidemment de plein fouet la famille et plus encore son jeune frère. Si le conseil de régence l’a désigné comme le successeur légitime de son frère, la question s’est posé de savoir s’il accepterait cette charge. Il semble qu’il ait souhaité rester en Suisse pendant encore deux ou trois ans afin de compléter son éducation…ou réfléchir sur son retour ? Son « gouvernement » et lui-même ont pu craindre pour sa vie puisqu’après le décès d’Ananda les Suisses organiseront une protection policière discrète. Par ailleurs Pridi aurait considéré qu’un retour à la monarchie était inopportun compte tenu de ce que le jeune prince était immature, remarquable mais surtout ridicule contradiction de la part de celui qui avait tout fait pour faire monter sur le trône en 1935 un gamin de 9 ans ! La reine mère par ailleurs ne s’est jamais gêné pour cacher son aversion et son mépris pour les politiciens au pouvoir, sous influence certainement des membres de la famille royale qui n’ont pas tous pardonné aux auteurs du coup d’état de 1932. Mais elle avait des raisons personnelles à cela : Lors de la désignation de son fils aîné comme roi, le gouvernement de ces pieux démocrates lui avait généreusement attribué le titre de « Mère Sri Sangwan » (แม่ศริสังวาลย์) qui était à tout le moins désobligeant puisque soulignant ses origines roturières ! Lorsque sa fille avait en 1944 effectué un mariage « inégal », les mêmes démocrates l’avaient dégradée de son rang princier. Plus désagréable encore, lorsque le gouvernement avait créé en 1936 le « Crown property Bureau » (สำนักงานรัพย์สินส่วนพระมหาษัตริย์) chargé de gérer les biens de la couronne un certain nombre de députés dont celui d’Ubonrachatani avait ouvertement posé la question de leur « redistribution » c’est-à-dire d’une spoliation pure et simple. Si enfin les circonstances susdites nous laissent à penser que la famille ne vivait pas dans la pauvreté et n’avait pas été contrainte de « tirer le diable par la queue », il semble que le gouvernement ait tout fait pour lui être désagréable, sur le plan financier tout au moins puisque, dès l’accession formelle de Bhumibhol sur le trône, dans une lettre à Pridi datée de 1946, le lieutenant-colonel Supphasawatwongsanit Sawatdiwat (พันโทหม่อมเจ้าศุภ สวัสดิ์วงศ์สนิทสวัสดิวัตน์) se plaignait des difficultés financières de la famille royale. Le refus potentiel de Bhumibhol de monter sur le trône a inquiété et plus encore les chancelleries soucieuses du devenir d’un pays (10).
Le roi se décide à rejoindre son pays et son trône en 1950.
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Mais ces années les années lausannoises ont énormément compté. Il y vécut en famille jusqu’à 23 ans, des années qui comptent double. Il parle le français sans le moindre accent, alors mieux que sa langue maternelle dit-on. Il n’oubliera jamais son précepteur et grand frère qu’il couvrira d’honneurs et pas plus la ville de Lausanne.
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Il souhaitera que sa première fille naisse à la clinique de Montchoisi à Lausanne. A l’inverse de bien des souverains, l’ingratitude n’est pas l’un de ses défauts.
Au fil des 477 pages et des 22 chapitres de l’ouvrage de Lysandre C. Séraïdaris nous découvrons une famille qui n’est plus un « foyer clos, portes refermées, possession jalouse du bonheur ». Le roi a passé 17 ans de sa vie en Suisse francophone partagé entre l’influence de sa mère, son « gouvernement », probablement importante sinon pesante, celle, amicale, d’un précepteur hors pair, l’amour de sa sœur et celui – brisé – de son frère aîné, des études brillantes et la pratique de sports violents, des liens amicaux qu’il n’a jamais rompu et une passion pour la musique, une passion sans vices. Si nous étions de fins psychologues, nous pourrions penser qu’il y a là de quoi expliquer le déroulement de son règne qui ne fut assurément pas un long fleuve tranquille.
Notes
(1) Louis XIV qui n’a pas le record a régné 72 ans 110 jours.
(3) http://www.materdei.ac.th/2014/
(4) http://www.debsirinalumni.org/history.php?id_his=3&page=1&group=1
(5) พระบาทสมเด็จพระเจ้าอยู่หัว ๆ รัชกาลที่ ๙ และเจ้านายไทยในโลซานน์ publié chez Slatkine à Genève – ISBN 978 2 8321 0539 9 – cet ouvrage a fait l’objet d’une édition en français « Le roi Bhumibol et la famille royale de Thaïlande à Lausanne » publié en 2015 toujours chez Slatkine – ISBN 978 2 8321 0662 4.
(6) Nous en avons trouvé un bel exemple dans un article du 23 août 2008 du Figaro qui entre autres âneries, fait des princes les fils de Rama VII.
(8) Birabongse Bhanudej est encore une figure atypique de la famille royale. Il fut l’un des plus grands « gentlemen-drivers » de son époque, connu pour son élégance : il portait un smoking sous sa combinaison de pilote. Il se lance dans le sport automobile en 1935 grâce aux finances de son cousin, le Prince Chula Chakrabongse (จุลจักรพงษ์) qui crée, après les premiers succès son écurie, la White Mouse Racing pour laquelle Bira choisit les couleurs de course du Siam, bleu pâle et jaune.
(9) Cet ouvrage a été publié par l’école Chitralada de Bangkok (ISBN 974 864 4 9) considérée comme l’école la plus élitiste du pays.
(10) Nous trouvons de nombreuses copies des télégrammes ou des correspondances confidentielles adressés par les légations anglaises ou américaines à leurs ministres de tutelle sur ces sujets brulants sur le site allemand « Chronik Thailands » (กาลานุกรมสยามประเทศไทย) de Alois Payer pour les années 1946 et les suivantes.