Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
Certains temples de l’Isan recèlent des trésors totalement méconnus, des fresques murales sur lesquelles les renseignements sont pratiquement inexistants. Ils sont spécifiques à l’Isan.
Quelques passionnés toutefois en ont fait la description, Alain Bottu pour la province de Khonkaen et Mahasarakham, dont le site comporte de magnifiques photographies (1).
Une jeune et belle passionnée, Aurore Lejosne-Bougaud, consacre une thèse au temple Wat Phochai situé dans la province de Loei (le wat Phochaïnaphung (วัด โพธิ์ชัยนาพึง) situé dans le village de Ban naphung (บ้านนาพึง) amphoe de Na Haeo (นาแห้ว) - Son site comporte de magnifiques photographies (2).
Le guide vert Michelin lui consacre quelques lignes. Le Wat Pumin à Nan (วัดภูมินทร์) est moins mal loti puisque Michelin lui consacre deux étoiles (« vaut le détour) » et quelques lignes flatteuses.
La dernière livraison du journal de la Siam society (3) ...
consacre un très bel article de Madame Brereton sur le Wat Chaisi (วัดไชยศรี) situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Khonkaen auquel une section de l’Université de cette ville consacre une activité d’étude et de sauvegarde. La même avait consacré un article à trois de ces temples (4).
La Siam society a par ailleurs engagé un programme de rénovation sur le temple de Wat Sa Bua Kaeo (วัด สระบัวแกว) (5).
Pimwadee Eomthurapote leur a consacré une étude plus synthétique (6). Nous avons encore consulté l’article de Thawat Trachoo, Sastra Laoakka et Sisikka Wannajun (7). Madame Brereton a inventorié 74 de ces temples sur l’ensemble des provinces de l’Isan surtout dans les provinces de Khonkaen, Mahasarakham et Roiet (3), le cœur de l’Isan, mais il en est dans les provinces de Kalasin, Amnat Charoen, Ubonrachatani, Nakhon Phanomm Loei et Mukdahan. Il est probable qu’il en est beaucoup d’autres comportant ces fresques, à l’écart de tout circuit touristiques, méconnus des proches voisins eux-mêmes (8), moribonds, occupés par de vieux moines sans ressources financières.
Comment les trouver ?
Ce peut-être un calvaire. N’espérez pas trouver des panneaux indicatifs. Allain Bottu a pris la peine de donner les coordonnées GPS des temples qu’il a visité. Ceux que l’utilisation de cet instrument rebute trouverons sans difficultés la carte (bilingue) de Thinknet à une bonne échelle (1/550.000ème) beaucoup plus utile que la carte Michelin au 1/1.3700.000ème. Certains de ces temples sont mentionnés. Mais Thinknet diffuse par ailleurs un carte (bilingue) sous forme de CD qui atteint un grossissement d’une précision diabolique puisqu’il part d’une échelle de 1.4.000.000 ème pour descendre, mieux que le cadastre français, au 1/1000ème. Il n’y a plus de problèmes puisque tous ces temples s’y trouvent et les coordonnées GPS permettent de les rejoindre sans trop de problèmes. Les habitants proches vous renseigneront volontiers à condition de leur montrer le nom du temple en thaï.
Les fresques :
Leur caractéristique est de se trouver sur les murs extérieurs et intérieurs, ce que l’on ne trouve nulle part ailleurs en Thaïlande. Pourquoi à l’extérieur ? Il n’y a qu’un bâtiment, souvent fort modeste, décoré, la chapelle d’ordination, ce qu’on appelle en langue locale le sim (ou sima สิม) qui est l’équivalent local (Lao et Isan) de l’ubosot (อุโบสถ), le hall d’ordination, un lieu sacré (9) qui était par définition interdit aux femmes. Mais comme les fresques ont – au moins partiellement un but didactique – l’instruction religieuse des femmes par les images se fait donc à l’extérieur. « Politiquement incorrect » ? Peut-être pour certains mais ce panneau photographié en 2010 à l’entrée d’une chapelle d’ordination mentionne toujours « Interdit aux femmes d’entrer » (10).
Ce sont le plus souvent de petits bâtiments aux côtés desquels (lorsqu’ils n’ont pas été détruits ou laissés à l’abandon) ont été construits de nouveaux bâtiments, de vastes Viharn (ou Vihara วิหาร) en béton et à l’arrogante ferticalité, aux standards des autorités religieuses nationales dans la droite ligne des tentatives gouvernementales du 19ème et du 20ème siècle d'éradiquer les cultures locales, les traditions, les langues et les écritures (11) pour imposer la mode de Bangkok selon le standard du Département des affaires religieuses (กรมการศาสนา kromkansatsana).
Lorsque vous entrez dans l’enceinte du monastère, cherchez le bâtiment le plus modeste et le plus souvent en triste état !
Ainsi la très modeste chapelle du Wat Klangkhokkho de Yangtalat (วัดกลางโคดค้อ -ยางตลาด) est datée de 1889 : petit bâtiment typique porté vers des poteaux en bois orienté vers une statue de Bouddha dont les murs sont restés blancs faute de moyens financiers :
Par exemple, le sim du temple de Phra Si Maha Pho (วัดพระศรีมหาโพธิ์) au bord du Mékong à une vingtaine de kilomètres en amont de Mukdahan est une modeste cahute ...
... située au pied d’un bâtiment conventuel daté de 1916, d’architecture élégante mais incongrue, de toute évidence française, œuvre d’un architecte vietnamien ayant appris son métier en Indochine coloniale, dont l’abbé est beaucoup plus fier que les fresques intérieure de sa chapelle !
Les sim sont en général construits de brique et de mortier avec des caractéristiques architecturales plus ou moins similaires, une seule porte d'entrée à partir d'un petit escalier flanqué d’animaux mythiques (Nagas). Les parois latérales sont constituées de trois panneaux, dont deux ont des fenêtres. Les toits ont de larges pignons qui se prolongent vers l'extérieur pour abriter les peintures murales de la pluie et du soleil. Les toitures, à l'origine couvertes de bardeaux de bois sculptés à trois niveaux avec une partie étendue qui ressemble à une aile d'oiseau soutenue par une rangée de colonnes autour de la salle, sont actuellement en plaques de métal galvanisé ou en tuiles vernissées.
Les peintures représentent évidemment le plus souvent des scènes clefs de la vie de Bouddha, le Vessantara Jataka (เวสสันดรชาดก), l’une des vies antérieures de Bouddha, alors prince Vessantara, qui donne tout ce qu'il possède, affichant ainsi la vertu de la charité parfaite ;
ou encore des épisodes du Sangsinchai (สังข์สินไชย) un poème épique religieux spécifiquement lao, Sin Chai est un héros qui a mené ses troupes à la bataille contre le roi-démon : Notons que ce sont des figures de cette épopée qui ornent les superbes lampadaires de Khonkaen, 200 dans la ville, érigés en 2005.
Lorsque les peintures contiennent du texte – ce qui est rare - il est en dialecte Isan pour avoir plus d’impact auprès des communautés locales. Ces chapelles datent en général du premier quart du siècle dernier.
Les artisans utilisaient des couleurs naturelles, végétales en général (écorces et feuilles de plantes telles que l'indigo et le cinabre) et évidemment pas de colorants chimiques bien qu’ils aient pu être utilisés pour faire des retouches. La palette comporte diverses nuances d’indigo, de marron, et d’aigue-marine avec des touches de blanc et de noir. Le bleu, le blanc, le jaune vif et le noir dominent parce que les artistes locaux ont un choix très limité de couleurs, explique Wittaya Wutthaisong, maître de conférences en histoire de l'art à l'Université de Khon Kaen.
Le maximum est fait à partir de matériaux locaux. Le blanc par exemple est fait à partir de coquilles de palourdes et le bleu vient de l'usine d’indigo locale. Ils utilisaient des pinceaux faits de bâtons de bambou (12). Les artistes devaient d'abord marquer les contours sur les murs au crayon, et on peut parfois en regardant de près voir le brouillon à travers la couleur. Ils peignaient ensuite directement sur le ciment blanchi à la chaux en respectant un ordre hiérarchique : La partie supérieure de la paroi était réservée aux anges, aux objets sacrés, et aux figures religieuses, la partie est celle de l’histoire et la partie inférieure à l’aspect humain et à l'enfer.
Les contours sont en général de couleur bleue et la base est blanche ou ivoire. Le dessin des figures humaines et divines suivent des conventions typiques des marionnettes d'ombre que l’on trouve dans toute l'Asie du Sud-Est.
Les visages des personnages masculins sont dessinés de profil, ce qui donne une impression de mouvement et d’énergie (technique de nos bandes dessinées !). En revanche, les femmes et les mâles spirituellement supérieurs, tels que le Bouddha, sont dessinés de face ou de trois-quarts face ce qui leur donne une attitude paisible. On trouve souvent hommes et femmes dessinés dans des poses similaires au « tribhanga » de la sculpture traditionnelle indienne.
Mais aussi – nous allions dire surtout, pour nous occidentaux – nous allons admirer de nombreuses scènes de la vie quotidienne, hommes et femmes au travail, courbés en deux pour travailler la terre avec des houes, hommes pataugeant dans l'eau pour retirer les pièges à poissons, femmes portant des fagots de bois, hommes labourant derrière des buffles, vieilles glanant les champs de riz, avec leurs mamelles tombantes, scènes de processions, scènes de fêtes avec les joueurs de khènes et les danseurs, prisonniers de guerre revenant du Laos, éléphants au travail, architecture traditionnelle. L'érotisme de certaines scènes est parfois déconcertant, hommes caressant les seins de leurs compagnes, à tel point que certaines scènes ont été censurées ultérieurement (caviardage des organes génitaux !). Au Wat Ban Lan en particulier, certains détails semblent avoir été délibérément endommagés par grattage de la surface des parois pour effacer certaines parties de la région pelvienne.
Il faut évidemment considérer le contexte socio-historique, ce qui peut sembler choquant pour un thaï du 20ème ou du du 21ème siècle pouvait ne pas nécessairement l’être pour un villageois Isan 100 ans plus tôt.
« La sim, à bien des égards, est l'âme de l'Isan » dit Wittaya Wutthaisong. « Les petites et humbles sim sont un témoignage de la simplicité, de la beauté, de l'honnêteté et de la fidélité » (12). Les peintures extérieures, peintures à l’eau, subissent mal les outrages de l’humidité permanente. Peu ont résisté à l'épreuve du temps, mais attirent encore l'attention des villageois et de rares visiteurs. Rendons hommage aux étudiants en histoire de l’art et à quelques universitaires de Khonkaen, Wittaya Wutthaisong, Udorn Buasri, Chob Disuankok et l’architecte Wiroj Srisuro, dont les efforts évitent à la « fierté de l'Isan » de tomber en poussière.
Le Wat Chaisi est en effet un exemple, il y a 25 ans, nous apprends Madame Brereton (en 1990 donc) il était à l’abandon faute de moines permanents depuis 30 ans. Il doit sa résurrection au Prakru Bunchayakorn, un moine natif du village de Sawatthi (สะวะถิ), retourné au village avec sa famille avec une aide tardive de « Tourisme autority of Thailand » et du département des beaux-arts. Nous devons avoir présent à l’esprit qu’il y a une quarantaine d’années, le temple était le centre et le cœur de la communauté villageoisen centre spirituel, lieu de rassemblement, école, dispensaire médical, champs de foire. La plupart des hommes était ordonnés moines « temporaires » après avoir reçu leur éducation au temple. Mais depuis 40 ans, le nombre de moines a diminué de moitié… Et les communautés villageoises ont été par le pouvoir central conditionnées pour penser que s’ils construisaient les temples comme leurs aïeux, ils auraient l’air de provinciaux c’est-à-dire de bouseux, alors place aux modèles de Bangkok.
Il faut aussi citer l’exemple des temples de Wat Photharam ....
et le Wat Parelainakho ...
Ifaisant l’objet d’un programme de rénovation sous l’égide de l’université de Mahasarakham, toujours en cours faute probablement de secours financiers, l’université étant – parait-il – moins riche que celle de Khonkaen.