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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

Nous avons à diverses reprises parlé de l’écriture thaïe, de la langue, des difficultés posées par sa « romanisation » ainsi que des dialectes de l’Isan ce qui nous a conduit à écrire, erreur ne fait pas compte, que si l’idiome de l’Isan, qui s’apparente très étroitement à la langue du Laos, avait pu avoir autrefois une écriture vernaculaire spécifique, celle-ci avait disparu de la mémoire de ses habitants. Il semble pourtant, au contraire, que si cette écriture est restée en sommeil pendant de longues années en raison d’une politique de « thaïsation » forcenée du langage et par voie de conséquence des écritures spécifiques, elle connaisse depuis le début de ce siècle un vif regain d’intérêt. 

 

La lecture d’un ouvrage récent (2012) de สวิง บุญเจิม (Sawing Bounjoen

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

 « ตำราเรียนอักษรธรรมอีสาน » (tamrarianaksonthamisan) que nous pouvons traduire par « manuel pour étudier les lettres sacrées de l’Isan » - nous serons plus précis sur cette traduction – nous fait faire amende honorable (1). La faute est avouée, elle nous sera pardonnée. L’ouvrage est évidemment en thaï et il ne semble pas qu’à cette heure il existe des ouvrages similaires en français et encore moins en anglais.

 

Poursuivant alors notre recherche, nous apprenons que le sujet fait l’objet de quelques sites Internet (2) et d’autres ouvrages récents, souvent sous le vocable ตำราเรียนอักษรโบราณอีสาน (tamrarianaksonboranisan par « manuel pour étudier l’écriture ancienne de l’Isan »), tous de ces dernières années, et que les  amoureux de cette ancienne écriture ont même une page Facebook. Mais avant de nous pencher sur cette incontestable (mais probablement relative) renaissance, un bref retour en arrière s’impose.

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

 

Nous préférons le vocable d’ « écriture sacrée » : ธรรม que l’on peut prononcer tham ou thamma, c’est qu’il est convenu d’appeler le Dharma que nous nous garderons bien de chercher à définir. Si cette écriture fut incontestablement utilisée dans l’écriture des textes religieux du bouddhisme et dans les prières, la question de savoir si elle le fut au quotidien est insoluble. Les textes bouddhistes sont en pali (3), la langue reste la même mais peut faire l’objet de différentes transcriptions selon les pays ou les régions. Le pali n'a pas d'écriture spécifique et on le note dans les écritures des pays où il s'est répandu  (4).

 

La question qui nous intéresse est de savoir comme elle le fut dans le nord-est et au Laos puisqu’il ne faut jamais oublier que l’Isan était autrefois le « Laos siamois ».

 

Le premier à s’intéresser aux textes sacrés à leur langue et à leur écriture fut l’incontournable La Loubère (5) qui étudie longuement « la langue balie » (6) et donne un très beau tableau des caractères utilisés pour la reproduire.

 

Cette présentation peut-être critiquable sur le plan grammatical mais soyons honnêtes, nous nous intéressons à cette écriture et point à la grammaire du Pali.

 

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

Le pali et le sanscrit dont il est incontestablement dérivé n’intéresseront plus aucun érudit pendant un siècle et demi (7). Mais elles connaîtront un regain d’intérêt, une découverte ou une redécouverte, dans le premier quart du XIXème siècle.

 

Le premier érudit français à s’y intéresser fut le grand Eugène Burnouf qui nous dote en 1826 de son « Essai sur le Pali » (8). Après un hommage rendu à La Loubère, ses critiques à son égard ne concernent pas l’écriture proprement dite, puisqu’il reproduit son tableau à l’identique (voir ci-dessus) mais sur le fond, ce qui ne nous concerne présentement pas. Mais il soulève une seule question sur laquelle nous reviendrons, La Loubère prête à cette écriture des origines birmanes alors que selon Burnouf, elle est directement issue du sanscrit.

 

Passons sur les querelles ultérieures de linguistes (notamment sur l’origine tout autant de la langue que son écriture). La question de l’écriture intéresse au moins indirectement Louis Finot, responsable d’un monumental article publié en 1917 (9). L’alphabet « Tham » qui illustre cet article est – mutatis mutandis – similaire à celui de La Loubère.

 


 

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

Venons-en maintenant à notre siècle. Voici l’alphabet des consonnes sacrées de l’Isan avec leur correspondantes thaïes selon Sawing Bounjoen suivie de la liste des voyelles (10) avec leur correspondantes thaïes (lesquelles, comme en thaï moderne se combinent entre elles pour former des diphtongues ou des triphtongues) : :

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 
VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

Que sait-on aujourd’hui de son origine à la lumière des découvertes épigraphiques ?

 

« Il est aujourd'hui bien admis que l'alphabet tham lanna en usage dans les provinces du nord de la Thaïlande a été élaboré à partir d'une forme de l'alphabet môn. Les travaux d'épigraphie permettent de suivre le développement de cet alphabet depuis le XIVème siècle jusqu'à l'époque actuelle. L'alphabet tham est d'origine môn, la forme des graphies le prouve amplement. Il a d'abord été créé pour noter le pali et il est le seul support de cette langue en Thaïlande du Nord du XIVème siècle à nos jours » (11).

 

Précisons que l’écriture tham du Laos et de l’Isan est une simple variante de l’écriture tham du Lanna. L’argumentation de Michel Felus (ci-dessus) fondée tout autant sur des arguments linguistiques que des arguments épigraphiques est actuellement celle de tous les érudits.

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Comment cette écriture a-t-elle été introduite en Isan comme elle le fut au Lanna ?

 

Alors que l’écriture utilisée en Thaïlande aujourd'hui l’est universellement, il n’en était rien au début du siècle dernier. Elle fut introduite et imposée lors de la construction de l'État-nation mais la question reste posée des écritures qui étaient utilisées dans les villages au quotidien. La pénétration de l’écriture actuelle n’a pas transformé des analphabètes en lettré, la population étant déjà au moins partiellement alphabétisée par les écritures traditionnelles. Fumihiko Tsumura (12) a cherché à savoir quelle était la représentation écrite de la langue orale dans les villages du nord-est. Il est le seul, à notre connaissance, il est japonais, à avoir effectué une étude approfondie sur le terrain.

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

Nous savons qu’en Isan la langue parlée est le Lao-Isan, dialecte local très proche du Lao, langue monosyllabique à tons. Indépendamment de l’utilisation de l’écriture thaï pour transcrire l’écriture, y compris celle de l’idiome local, d'autres écritures, essentiellement celle que l’on appelle « akson boran » (« écriture ancienne »), subsistent encore en Isan. Cette écriture ancienne n’est pas plus une écriture morte que la langue est une langue morte. NotreJaponais est allé à sa découverte dans quelques villages de notre région. Cette écriture, qu’on l’appelle « tham » ou « boran » est, nous le savons depuis les études de Michel Ferlus dont nous venons de parler, issue de l’ancienne écriture môn. Nous préférons le terme de tham (le Dharma ou le dogme) puisqu’elle est essentiellement utilisée dans la transcription des textes bouddhistes (หนังสือธรรม nangsutham livre du dogme). La propagation de l'utilisation de cette écriture est parallèle à celle du bouddhisme puisque l’éducation passait par les temples et que cette écriture était principalement utilisés à des fins religieuses, sous forme d'inscriptions sur des livrets en feuilles de latanier, une espèce de palmier, appelé ใบลาน (baïlan). 

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

Cette écriture fut la victime directe de la loi sur l’éducation obligatoire de 1921. L'utilisation d’une écriture traditionnelle fut alors négligée et l’écriture thaïe devint l’écriture nationale. Suite à la création dans les années 30 d’écoles dans l’ensemble du pays, la connaissance séculaire de cette écriture traditionnelle fut dissociée du quotidien. L’Isan est une région périphérique le gouvernement s’efforçait d’y diffuser la connaissance de la culture et de l'histoire du Siam dont le centre était Bangkok. La population de l’Isan s’est alors efforcée d’absorber la culture centralisée mais la langue parlée n'a pas changé de façon drastique; Aujourd'hui, presque tous les villageois parlent Isan à la maison. Les élèves sont encouragés sinon contraints de parler thaï dans les salles de classe mais parlent librement Isan après l'école. 

VERS UNE RENAISSANCE DE L’ANCIENNE ÉCRITURE ISAN ? 

En ce qui concerne la langue écrite tous les textes dans les villages Isan sont écrits en thaï et l'utilisation de l’écriture traditionnelle n’est jamais observée au quotidien mais pourtant, elle perdure dans certains contextes.

 

Une « nouvelle vague » pour l’écriture traditionnelle ?

 

Toutefois, depuis la fin du siècle dernier, apparurent des signes de changement. Les réformes du système éducatif de 1973 ont développé une décentralisation des programmes scolaires et mis l’accent sur l'enseignement de la culture et de l'histoire locale, le gouvernement n’était pas hostile à laisser libre cours à la diversité de cultures régionales ce qui suscita par la même un développement de l'intérêt pour elles. Il en fut de même pour les écritures locales, le tham serait enseigné dans certaines écoles de la région (nous n’avons pu obtenir aucune précision à ce sujet) et trouve un regain d’intérêt tout autant dans le bouddhisme que dans la médecine traditionnelle (la phytothérapie, essentiellement médecine par les plantes). Mais qu’en est-il de l’utilisation en dehors de ces domaines précis, au quotidien dans nos villages ? Notre japonais a effectué une enquête dans trois villages de la province de Khonkaen entre avril et septembre 2001 (il y a quatorze ans déjà). Il ne nous donne pas les noms mais nous précise qu’il s’agit de « NK », « DY » et « NG », situés à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de la ville, comportant entre 230 et 280 foyers pour une population de 1.100 à 1.400 (13). La plupart des habitants cultivent le riz gluant, la canne à sucre et le manioc. En raison de la proximité la ville, certains y travaillent, femmes de peine, ouvriers du bâtiment ou d’usine. Ce sont des villages de banlieue de grandes villes typiques. Mais qui connait l’écriture traditionnelle ? Quelques habitants seulement, les moines au premier chef et des laïcs, ceux que l’on appelle les หมอธรรม (motham) que nous essayerons de définir plus bas.

 

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Les moines :

 

Dans aucun de ces villages n’existe un enseignement de l’écriture traditionnelle. Dans le village « NK », à l’intérieur  du temple « NK » existait (nous sommes en 2001) un moine de 80 ans nommé « BN » devenu novice à l’âge de 17 ans (donc en 1938) qui avait appris cette écriture d’un vieux moine. A la mort de ce dernier, il avait lui-même enseigné l’écriture jusqu’au début des années 80 à l’aide de textes écrits à la main sur des feuilles de latanier faute de manuels imprimés. A cette époque, les textes bouddhistes étaient écrits uniquement en écriture tham et non en thaï, donc presque tous les moines étaient capables de lire l’écriture tham. Mais après cette date, l'intérêt pour l’écriture s’est estompé puisque les moines et les apprenants pouvaient lire les manuels bouddhistes imprimés en écriture thaïe.

 

Dans le temple « SM » du village « DY », il n’y avait qu’un  moine « KY » âgé de 71 ans qui pouvait lire l’écriture tham. Il l’avait appris lors de son ordination 38 ans auparavant (donc en 1963) il pouvait toujours le lire mais avait des difficultés à l’écrire bien qu’il possédait toujours l’outil.

 

Selon KY, 30 ans plus tôt environ (dans les années 70), il y avait encore beaucoup de moines qui savaient lire et écrire tham, et il les avait souvent vus transcrire les textes bouddhistes. La plupart des textes sur feuilles de latanier dans la bibliothèque du temple dataient de cette époque.

 

Dans le temple de « DY » occupé par neuf moines, un de 70 ans, deux de 60 ans, un de 50 ans et cinq de 20 ans et un novice, seul le moine de 70 ans connaissait l’écriture tham.

 

Dans le temple de « NK » occupé par dix moines, celui de 80 ans, neuf de 20 ans et un novice, seule celui de 80 ans connaissait l’écriture tham.

 

Dans le temple de « NG » occupé par cinq moines un de 60 ans, deux de 40 ans et deux de 30 ans et un novice, nul ne pouvait ni lire ni écrire.

 

Quant aux novices (le plus souvent temporaires) ou aux moines temporaires ils n’étaient pas incités à apprendre l’écriture tham.

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Les laïcs :

 

Dans le village de « DY » deux seulement, un de 60 ans et un autre de 50, connaissaient cette écriture.

 

Dans le village de « NK », ils sont quatre, deux de 80 ans et deux de 70.

Dans le village de « NG », un seul de 50 ans.

 

On peut supposer qu’ils avaient acquis ces connaissances lors de leur passage au temple comme moines temporaires ?

 

Mais pourquoi continuent-ils à pratiquer l’écriture tham ? Ce sont des spécialistes religieux appelés หมอธรรม (motham); Que recouvre ce terme ? Littéralement, on pourrait le traduire par « docteur en théologie ». หมอ (mo) c’est un « docteur » (au sens de médecin) mais c’est aussi « une personne qui sait ». C’est donc un homme qui connait le Dharma, le dogme si l’on veut. Ils sont appelés à rendre divers services qui utilisant les pouvoirs dérivé du Dharma, simples conseils, sorts et guérisons magiques ou exorcismes, confection d’amulettes, 

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inscriptions lapidaires placés dans huit directions autour d’un village pour protéger contre les mauvais esprits. Dans les villages étudiés par notre érudit japonais, il n’y avait pratiquement pas de laïcs en dehors de ces motham susceptibles de lire ou d'écrire l’écriture traditionnelle et peut être certains tatoueurs traditionnels qui opèrent dans les temples et nulle part ailleurs, le tatouage ayant la même valeur magique que les talismans (14). 

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Nous n’avons pas vocation à être sondeurs professionnels, mais des questions par nous posées de droite et de gauche à des personnes éclairées, il semble bien qu’il y ait toujours dans les temples ou dans les villages quelques moines, quelques tatoueurs ou quelques motham qui perpétuent la tradition ?

 

***

 

Alors, renouveau, regain d’intérêt ? Renaissance des particularismes locaux ? Exercice d’esthètes de la linguistique ? La page Facebook  มรดกอีสานและอักษรธรรมอันล้ำค่า (« notre héritage Isan et les précieuses lettres sacrées »), ouverte en novembre 2012 est « aimée » (à l’heure où nous la consultons) de 1.125 personnes (nous allions dire « n’est aimée que de …. »), une petite communauté ! La page Isangate (note 2) ne l’est que de 333 personnes. Les ouvrages ou les sites consacrés – par exemple -  à l’écriture du thaï noï (ไทยน้อย) ou du thaikhom (ไทยคม) sont tout aussi confidentiels. Et encore sont-ils écrits en écriture thaïe et non en écriture traditionnelle bien qu’il existe d’ores et déjà les fontes nécessaires (15).

 

***

 

Il n’y a probablement pas plus de 10.000 Français actuellement capables de lire le Grec ancien à livre ouvert. Et pourtant l’héritage de la Grèce a été absorbé dans notre sang au cours des siècles. 

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A
Merci de "réveiller" l'ancien Isan et son écriture.<br /> Ma femme est très intéressée aussi, elle parle Isan et bien sûr laos.<br /> Sa famille est très "gardienne" des vieilles traditions,<br /> mais mon épouse ne connaissait pas cette écriture.<br /> Grand merci d'ouvrir un nouveau chapitre<br /> de l'histoire de notre Isan bien aimée. Bonne journée
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G
Vous devez pouvoir trouver le manuel de Sawing Bouchoen (ISBN 974-9262066-2) à l'adresse esan_te@yahoo.co.th ....Un peu plus de 200 pages et pas facile ! Je suis tombé dessus par hasard (150 baths !) et il m'a passionné mais on ne doit pas trouver beaucoup de proefsseurs !!!<br /> <br /> Cordialement