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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

A - 194 - LE PREMIER PROJET DE CONSTITUTION DE 1885

A - 194 - LE PREMIER PROJET DE CONSTITUTION DE 1885

Voilà bien un aspect oublié de la politique réformatrice du roi Rama V sur lequel les sources sont malheureusement squelettiques (1).

 

Le terme de « première constitution » prête d’ailleurs à équivoque, puisque, n’en déplaise aux auteurs du coup d’état de 1932, la stèle de Ramkhamhaeng datée de 1292  constitue déjà une constitution écrite et mieux qu’écrite puisque gravée dans la pierre, faisant référence au gouvernement, à la succession royale, à la liberté d'exercer le commerce, aux limites apportées au pouvoir royal et au droit de tout sujet de faire appel à la justice du souverain (2). Elle n’est postérieure que de quelques dizaines d’années à la « Magna Carta » des anglais arrachée à Jean-sans-terre en 1215.

A - 194 - LE PREMIER PROJET DE CONSTITUTION DE 1885

Nous savons que les étrangers ont toujours été bien accueillis au Siam (3). Mais dès avant la conclusion des premiers traités bilatéraux entre le Siam et la Grande-Bretagne puis entre le Siam et la France, les gouvernements des occidentaux installés dans le pays (Ils n’étaient que quelques centaines à l’époque) arguaient de l’incohérence sinon de l’absence de tout système juridique cohérent pour obtenir la signature de traités « inégaux » créant au profit de leurs nationaux une situation juridique privilégiée (4).

 

L’idée de doter le Siam d’une constitution écrite en 1885 a été initiée par le prince Prisdang (พระองค์เจ้าปฤษฎางค์), représentant alors le Siam à Paris, comme contre-mesure face aux puissances coloniales prenant prétexte de libérer les habitants d’une domination despotique, de la nécessité de mieux gérer les ressources naturelles « pour le plus grand bien de l’humanité » et en profitant  pour annexer les territoires.

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Elle a été faite dans le contexte particulier de la chute de la Haute-Birmanie et, dans une certaine mesure, inspirée par une idéologie « progressiste » d’un groupe informel de jeunes Siamois, des « Jeunes Turcs » dirigé par le roi Chulalongkorn lui-même auquel appartenait le prince Prisdang.

 

Sur son lit de mort, en 1851, Rama III aurait dit à son fils : « War on the Vietnamese and Burmese fronts should be over. The problems will now be on the Westerners’ side. Take care that they do not take advantage. Whatever they do or think, learn and apply accordingly. But do not become totally subservient to their way » (5).

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Le prince Prisdang, ambassadeur à Paris, en lequel Rama V avait une grande confiance, était tout à la fois conscient de la nécessité pressante de réformer le gouvernement et probablement aussi porteur de penchants personnels vers l'égalité sociale. Aussi, le roi lui demanda-t-il son avis et ses conseils pour faire face à une situation internationale extrêmement difficile face aux pays européens, essentiellement la France et l’Angleterre, en pleine chasse pour appréhender de nouvelles colonies : les territoires entourant le Siam aux quatre coins de l’horizon sont tombés ou vont tomber les uns après les autres. Le Siam est pourtant entré sur la scène politique internationale en mettant en place des missions permanentes en Europe et en établissant un dialogue avec l'Occident.

 

Mais, triste et significatif exemple, le roi Thibaw  de Birmanie avait cru pouvoir adopter une politique intransigeante envers les Britanniques, croyant encore en la puissance de son armée et en des promesses d’armement des Français qui se sont avérées fallacieuses. En 1826 déjà, les Britanniques avaient annexé l’Arakan et la Basse-Birmanie et menaçaient l'indépendance de la Haute-Birmanie au début des années 1880. Aussi, en 1883, le roi dépêcha-t-il une mission en Europe pour chercher essentiellement le soutien de la France. Mais les Français – pour autant qu’ils aient souhaité intervenir – étaient ligotés par la guerre au Tonkin. Les Britanniques envahissent la haute-Birmanie et s’emparent de Mandalay en novembre 1885. Le pays est officiellement annexé le 1er Janvier 1886. La monarchie est abolie et la famille royale exilée dans des conditions qui font honte à l’Angleterre. L’ambassade Birmane est à Paris, ses membres se retrouvent à la fois apatrides et sans ressources et trouvent alors refuge à l’Ambassade siamoise, rue de Siam. L’ambassadeur birman interroge le prince Prisdang pour connaître son opinion sur le point de savoir si la Grande-Bretagne autoriserait son pays à avoir un nouveau roi. Le prince a en effet fait ses études en Angleterre et y fut le premier ambassadeur siamois. Il connait bien le pays. Celui-ci lui répondit que si les conservateurs avaient le pouvoir en Grande-Bretagne, la Birmanie n’existerait plus, alors que si les libéraux remportaient les élections, le pays pourrait éventuellement bénéficier du statut de protectorat. Mais se posait la question de savoir où trouver un roi ? Le prince fit (aimablement) remarquer à l’ambassadeur que le roi Thibaw avait fait massacrer tous les princes de sa famille et le seul subsistant, son frère, réfugié à Pondichéry, ne serait pas accepté par les Britanniques. En tout état de cause, les premières élections (presque) démocratiques de juillet 1886 donnèrent une majorité écrasante aux conservateurs. Si la légation birmane avait été bien accueillie à la légation, le prince ne put rien faire autre que de lui assurer un retour discret en Birmanie. Mais le prince envoyait des rapports circonstanciés au roi et au ministre des affaires étrangères assorti de nombreuses coupures de la presse occidentale.

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Les événements ayant conduit à l’annexion pure et simple de la Birmanie causèrent une grande frayeur au roi.

 

Il interrogea alors son ambassadeur (et cousin) pour lui demander quelques conseils sur la manière dont le Siam pourrait préserver son indépendance au motif qu’ayant longtemps résidé en Europe, il devait bien connaître la manière de pensée des occidentaux. Le prince se déroba d’abord avec prudence en arguant du fait que son opinion pourrait lui disconvenir. Celui-ci insista alors pour l’inviter à lui écrire en toute franchise (6).

 

Si le prince avait des opinions bien arrêtées, il fut hésitant avant de les donner et de transmettre directement ses propositions au roi. Il eut la sagesse de chercher – et de trouver – l’appui de trois princes alors en Angleterre, le  Prince Naresvararit, le Prince Svastisobhon et le prince Sonabandit.

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Ainsi naquit le premier projet de constitution écrite au Siam.

 

Mais avant de l’étudier, quelques mots sur son initiateur s’imposent, nous vous les donnons en note (7).

 

C’est probablement entre 1883 et 1884 qu’il se décida à soumettre un projet de constitution au roi (peut-être avant même que le roi n’ait sollicité son avis ?), projet qui aurait été préparé par le prince Svastisobhon. Il fut rédigé par le prince Naresvararit et son secrétaire, le prince Sonabandit. Le prince Prisdang demanda par ailleurs au personnel des légations à Paris et Londres de signer le document avec les quatre princes. Quatre copies ont été faites, l'une devant être soumise directement au roi, une pour les légations, et une pour être présentée à sa majesté par le secrétaire du roi qui y a également apposé son sceau.

 

Que disait donc ce projet ?

 

Il commence par une lucide analyse de la situation :

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« Sous sa forme actuelle de gouvernement, le pays est en danger de disparaître. Un changement vers une forme « civilisée » de gouvernement est nécessaire, à savoir, l’adoption du système européen, comme ce fut le cas au Japon. Ce changement nécessite l'assentiment du roi. Le danger vient de la colonisation par les puissances européennes, qui revendiquent le droit d'apporter la civilisation, la justice, la loi et l'ordre chez les peuples opprimés, et les ouvrir au commerce en développant leurs ressourcesOr, la politique actuelle du pays ne fera pas disparaître le danger parce que :

– Faire de fréquentes concessions sur des territoires ou des privilèges fiscaux ou douaniers peut procurer un sentiment momentané de sécurité mais ne fait que reculer les problèmes.

–  Une résistance militaire est hors de question. Le Siam peut, au mieux, rassembler une armée de 50.000 hommes mais trouver le temps et l'argent nécessaires pour une véritable organisation est une tâche impossible. Même si Siam gagne une bataille, ce ne sera qu’une victoire temporaire et n’empêchera pas une colonisation ultérieure.

– Il y a un avantage certain à être un état tampon entre les Français et les possessions britanniques, mais encore faudrait-il que le Siam soit gouverné de manière ordonnée, car la Grande-Bretagne et la France sont déjà en collusion avec l'intention de ne laisser subsister qu’une très étroite bande de territoire pour servir de tampon entre leurs colonies de Birmanie et l’Indochine.

– C’est une erreur de penser que des réformes suffisantes ont déjà eu lieu au Siam tout simplement parce que le pays dispose désormais d'ambassadeurs en Europe, d’un service des postes et télégraphes, de services des douanes européennes et a signé des conventions avec les puissances ».

 

« C’est en effet une hypothèse erronée car ces réformes ne sont que superficielles. Elles ont été instituées dans un pays sous-développé et génèrent la corruption.  Par exemple, les décorations royales que le Siam a copiées sur l'Europe ont été totalement dévoyées : au lieu d'être des symboles récompensant des mérites ou un comportement exemplaire, elles ne sont utilisées qu’au profit des membres de la classe privilégiée.

«  Affirmer que des réformes seront suffisantes pour défendre le pays n’est pas soutenable. Envoyer des ambassadeurs en Europe ne suffira pas si le gouvernement reste soumis au caprice. Adopter les manières ou les uniformes venus de l'Europe ne constitue pas un avancement, ce ne sont que mascarades ...

–  La signature de traités n’aidera pas le Siam, voir l’expérience de la Chine.

– Par contre, l'ouverture du commerce ne mènera pas nécessairement à la domination étrangère en raison des intérêts divergents entre les puissances coloniales.

– Il est faux de penser que si le Siam a conservé son indépendance à ce jour, il pourra continuer à le faire à l'avenir. La situation a changé, depuis les temps anciens où les communications étaient plus difficiles et les contacts avec l'Occident étaient moins nombreux.

– Certains croient encore à tort que le droit international garantit notre sécurité. Cette loi ne s’applique qu’au « club » des nations « civilisées ». Même le Japon n'y a pas été admis alors qu’un lobbying tente en vain de corriger ses traités avec les puissances coloniales ...

– Le système actuel du gouvernement en lui-même n’est pas un bon système. Il est trop capricieux, dépendant seulement de Sa Majesté et du Bureau du Secrétariat Royal. Il n'y a qu'une seule solution : le pays doit adopter une Constitution. Ce projet ne signifie pas, à ce stade, la mise en place d'un parlement mais il comportera les mesures suivantes :

 

1°) Le pays doit passer d'une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle.

2°) La Défense et l'administration du pays doivent être entre les mains de ministres qui, ensemble, formeront un cabinet, et une loi de succession clairement formulée doit être promulguée.

3°) Tout corruption doit être éradiquée, il faut veiller pour cela à ce que les salaires des fonctionnaires du gouvernement soient suffisants. Ce point doit être considéré dans le contexte actuel avant le programme de réforme du Roi Chulalongkorn.

4°) La satisfaction de tous doit être atteinte en assurant l'égalité devant la loi, y compris le système fiscal.

5°) Les traditions obsolètes doivent être abolies, ne recevant plus que l’hommage de l’histoire.

6°) La liberté de pensée, la liberté de parole et la liberté de la presse doivent être garanties.

7°) Les nominations et les licenciements dans les services publics doivent être déterminés par une législation clairement définie.

 

Ces sept points ci-dessus sont en conformité avec les principes de gouvernement en Europe. Il est important que les citoyens siamois sachent qu'il y a une justice dans leur pays, il leur appartiendra alors dans les moments de crise, de défendre ensemble la patrie. Ce serait la véritable armée de la démocratie et de la justice qui est une force plus grande que les forces armées mobilisées pour des opérations limitées.

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La suite du document porte sur les moyens d'instaurer la Constitution et d’apporter les changements dans le gouvernement. Sa rédaction montre que ses partisans avaient déjà supposé que le roi serait d'accord avec leurs idées. En même temps, ils le mettent en garde contre l'opposition de l'ancienne génération et une possible rébellion. Ils recommandent donc le secret total et une mobilisation des forces militaires. On comprend évidemment la référence à l’ancienne génération si l’on sait que lorsque le document a été soumis au roi, celui-ci avait 32 ans, le prince Prisdang, 34, le prince Naresvararit, 30, le Prince Sonabandit, 22 et le Prince Svastisobhon seulement 20.

 

Le document se termine en affirmant que les générations à venir, regardant en arrière, loueront le roi d’avoir préservé  l'indépendance du Siam et d’avoir été le catalyseur des réformes, un exemple pour les dirigeants futurs.

 

Ces recommandations audacieuses pour l’époque ont été signées le 9 Janvier 1885. Le prince Prisdang conserva un « profil bas » en  attribuant la plus grande partie de la réflexion au prince Svastisobhon qui avait à 19 ans la fougue de la jeunesse.

 

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La réponse du roi commence par exprimer son appréciation de la proposition. Il a ensuite dit qu'il avait déjà envisagé des vues similaires et ne ferait rien pour entraver le passage à une monarchie constitutionnelle. Cependant, il avait déjà franchi une première étape en instituant le Conseil législatif mais cela avait été un échec. Il rappelle ensuite que quand il était monté sur le trône à l'âge de 15 ans, le pouvoir était entre les mains de la vieille garde, principalement la famille Bunnag, dirigé par le régent, qui contrôlait le pouvoir exécutif. Pour freiner leur pouvoir, il avait mis en place le Conseil législatif, qui pouvait être décrit comme une sorte de parti d'opposition. Mais il ajoute «  Vous devez comprendre que nous ne serions pas roi si nous sommes obligés de démissionner comme les rois de l'Europe ».

 

Le roi poursuivit en expliquant qu'il possédait le pouvoir exécutif mais n’avait plus le temps de s'occuper des aspects législatifs.  Ce qu'il voulait, à ce stade, donc, était :

 

1) Une réforme du gouvernement;

2) Une réforme législative.

 

Mais il se plaint amèrement de l'incompétence de ses ministres et des fonctionnaires qui, connaissant leurs propres insuffisances essayent de s’absenter des réunions du Conseil, ou, s’ils y assistent, gardent le silence, ou, s’ils expriment des opinions, ne font que refléter de « petites personnalités ».

 

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Il indique ensuite être d'accord avec les changements proposés. «  Mais comment ? » « Si nos ministres démissionnent en raison de leurs insuffisances, il y aurait une démission collective sans précédent dans l’histoire du Siam ! »

 

Le roi a souligné que la faisabilité de tout changement dans le système de gouvernement devait être assurée mais que le changement ne devait se faire que progressivement. Il ajoute clairement qu'il était contre un parlement et des partis politiques.

 

La réponse royale date du 15 mai 1885. Le roi a ensuite donné ordre aux quatre princes de retourner au Siam. Le prince Prisdang était alors sur le point de conclure en Suisse l'adhésion du Siam à l' Union postale universelle. Il retarda donc son retour donc au mépris de l’ordre royal jusqu'à l'année suivante lorsque sa mission aurait été accomplie.

 

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Le roi entra ensuite dans une vive colère contre lui. En raison peut-être de son retard à retourner au Siam, en raison aussi du fait que la proposition avait été signée par la quasi-totalité du personnel des deux légations de Paris et de Londres ce qui revenait à le mettre devant le fait accompli. Le prince Prisdang réalisa que c’était une erreur mais quand il était trop tard et que la proposition était déjà partie.

 

De retour au Siam, le prince devint directeur général du département des postes et télégraphes, aida à mettre en place l'hôpital Siriraj en tant que co-président du comité des bâtiments. Il organisa les pavillons Siamois section pour l'Exposition universelle de Paris en 1889, dressa des carte d'étude du Golfe, des côtes et des rivières et élabora une charte pour la création du ministère de la Travaux Publics. Il obtint ensuite un poste obscur au ministère des Affaires étrangères comme commis à la traduction de documents, en contraste frappant avec son rôle précédent comme le ministre accrédité auprès de douze pays occidentaux.

 

Survirent alors, en 1890, des difficultés sur lesquelles planent toujours un certain mystère.

 

Le prince accompagna au Japon le prince Bhanubhandhuwongvoradej pour y établir des relations diplomatiques mais ne revint au Siam qu'après la mort du roi Chulalongkorn. Lors de son bref retour pour la crémation royale il échappa de peu à une arrestation pour des motifs restés mystérieux probablement parce que le successeur de Rama V et ses conseillers considéraient les propositions du prince comme hérétiques et constitutives du crime de lèse-majesté ?

 

Il avait rédigé une auto biographie qui a été publiée à Bangkok en 1929 mais l’ouvrage a été censuré et des pages entières arrachées (5). 

 

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Loin du Siam, il vécut comme moine et ascète aux Indes et au Sri Lanka où il devint patriarche de Colombo. 

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Jusqu'à sa mort, il mena une vie erratique. Il arborait un magnifique barbe, qui lui a valu le premier prix dans un concours international tenue au Japon pour la barbe la plus longue et la plus belle du monde (5). 

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Il mourut dans la misère le 16 mars 1935, trois ans après le coup d'Etat qui mit fin à la monarchie absolue et 50 ans après sa proposition de la Constitution. Il avait prévu de mettre son projet de constitution en place « dans un secret total avec une mobilisation des forces militaires » et ce sont pour grande partie les forces militaires qui instaurèrent la première constitution siamoise de 1932.

 

***

 

Il est évidemment permis de se demander si une réforme constitutionnelle telle que suggérée par ce prince atypique, le plus brillant de sa génération assurément, sur le modèle du système constitutionnel des deux états prédateurs, la France et l’Angleterre, aurait assuré au Siam un meilleur avenir que les réformes successives de Rama V et de Rama VI et surtout en quoi elle aurait calmé leurs appétits d’autant que ni l’un ni l’autre n’étaient tout de même de bons exemples (8) ? Cette croyance en les vertus charismatiques des constitutions écrites est singulière.

 

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NOTES

 

(1) Voir cependant le très précieux article « PRINCE PRISDANG AND THE PROPOSAL FOR THE FIRST SIAMESE CONSTITUTION, 1885 » par Sumet Jumsai  in Journal of the Siam Society Vol. 92 – 2004). Il contient de nombreuses références, pratiquement toutes en langue thaïe.

 

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Voir aussi un non moins précieux article de Sutton Sakdaphisit publié dans le Bangkok Post du 20 Décembre 1996 « à propos du Prince prêtre, un visionnaire avant son temps »

 

(2) Voir notre article 20 : « Notre histoire : Le roi de Sukkhotai selon la stèle de 1292  ».

 

(3) La Loubère écrit en 1691, p.28-29 : « Ils [les Siamois] disent encore que l’on compte dans la ville de Siam jusqu’à 40 nations différentes […]. Ce nombre affecté de 40 nations lui parait une vanité indienne. L’anéantissement entier du commerce de Siam, ayant fait chercher en ces dernières  années des retraites nouvelles à la plupart des étrangers, qui s’y étaient réfugié, 3 ou 4 canonniers qui sont de Bengale, composent aujourd’hui une nation : 3 familles cochichinoises en font une autre : les Mores seuls, qui ne devraient être comptés que pour une seule, en font plus de dix, tant pour être venus au Siam de différents pays, que sous le prétexte de leurs diverses conditions de marchands, de soldats et de laboureurs. (J’appelle Mores à la manière espagnole, non pas les Nègres, mais ces Mahométans arabes d’origine, que nos ancêtres ont appelés Sarrazins, et dont la race s’est étendue presque par tout notre Hémisphère.). Et avec tout cela, quand les Députés des étrangers, qu’on appelle au Siam les 40 nations, vinrent saluer les envoyés du roi, on ne compte [en réalité] que 21 nations en comptant comme les Siamois voulurent ».

 

(4) Nous avons longuement parlé de ces privilèges d’exterritorialité soustrayant nos nationaux au système judiciaire local et – faut-il le préciser – créant à leur profit un régime fiscal privilégié. Si la recension de 1805, le « code des trois sceaux » prévoyait en matière pénale en particulier, des sanctions horribles (tortures, ordalies et pire encore), il faut tout de même relever qu’elles avaient pratiquement disparu dès avant la seconde moitié du XIXème siècle et qu’il faut une incommensurable dose de mauvaise foi ou d’incompétence pour affirmer qu’elles ont perduré jusqu’à la publication du code pénal de 1908. Au demeurant le dernier occidental et peut-être le seul à en avoir été victime fut Phaulkon exécuté dans des circonstances horribles en 1688. En ce qui concerne le système proprement civil, esclavage, esclavage pour dettes il faut également relever que nul occidental n’en a jamais été victime et que par ailleurs, si l’on en croit Monseigneur Pallegoix, le sort des esclaves était de loin plus avantageux que celui des domestiques dans son pays à l’époque à laquelle il écrivait.

 

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(5) cité par Jumsai.

 

(6) La proposition soumise au roi est datée du 9 Janvier 1885 ce qui signifiait que le roi doit avoir écrit au prince un certain temps avant cette date, et bien avant la capitulation de la haute-Birmanie, qui a eu lieu en novembre 1885.

(7) Né comme « Mom Chao » à Bangkok le 23 février 1851, le prince était le fils du Prince Rajsihavikrom, lui-même quatrième fils de Rama III, qui poursuivait une simple carrière d’architecte. Il commence ses études à Singapour et les poursuit au « King College » de Londres en 1870. Il sera le premier siamois  à avoir obtenu un diplôme universitaire anglais. Lors de l’obtention de son diplôme, il a l’honneur d’un article du journal « The Times » du 7 juillet 1876 relatant la distribution des prix sous la présidence du premier ministre Gladstone. Il avait remporté presque tous les prix ! 

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Après un bref retour au pays en 1876, rien ne le destine à une carrière publique, il est l’assistant de son architecte de père mais il appartient au groupe des « jeunes Turcs », groupe restreint et informel de princes réunis autour du jeune roi se baptisant « Young Siamese Club ».  Leur but était de mettre en place un train de réformes et en même temps, de lutter contre la très conservatrice et très puissante famille Bunnag en protégeant la jeune prince (Rama V est monté sur le trône à 15 ans)  contre toutes possibles attaques frontales venues du second roi et d’autres princes ayant le soutien plus ou moins occulte de l’Angleterre. Ce groupe a publié entre 1874 et 1875 le premier très confidentiel journal en langue siamoise, appelé « Darunovath ». Mais le roi le renvoi très vite se former en Hollande pour étudier le projet « Zuiderzee Dam « (gigantesque projet de mise des Pays-bas à l’abri des flots. 

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Peu de temps après, en 1879, il est recruté par les services diplomatiques à destination de l’Europe. En 1881, il a créé la première ambassade permanente siamoise en Angleterre et présentera ses lettres de créance à la Reine Victoria en 1882. Il est ensuite accrédité à Paris (Journal officiel du 10 décembre 1882). Il obtient du Conseil municipal de Paris que la rue où se situe la légation (au croisement du 49 rue de la pompe) porte désormais le nom de « rue de Siam (La légation est au 13 rue de Siam). Nous le trouvons à partir de 1881 accrédité successivement auprès de 11 pays européens et aux États-Unis après avoir mis en place les légations de Londres, de Paris et de Berlin :  en particulier en Belgique, aux Pays-Bas, au Portugal, en Suède een Italie. Nous savons enfin par la chronique mondaine de la presse parisienne (« Le Figaro ») qu’il y avait une princesse Prisdang dont nous ignorons tout.

 

(8) L’Angleterre n’est pas un exemple puisqu’elle n’a en réalité pas de constitution écrite et s’en passe fort bien.

 

Quant à la France, depuis la mort de Louis X « le hutin » en 1316 jusqu’à l’adoption de sa première constitution écrite en 1791, elle a vécu 475 ans sous le régime des « lois fondamentales du royaume » non écrites mais dont la stricte application était surveillée par le Parlement de Paris. De 1791 à l’époque de Rama V, elle a connu ensuite onze constitutions en 84 ans, ce n’est pas dire qu’elle s’en soit mieux portée (Constitution de l'an I instaurant la République, 

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Constitution de l'an III instaurant le DirectoireConstitution de l'an VIII mettant en place le ConsulatConstitution de l'an X, instaurant le Consulat à vie, Constitution de l'an XII, instaurant le Premier EmpireCharte de 1814 (Restauration de la Monarchie), Acte additionnel aux constitutions de l'Empire de 1815 relatif à la période des Cent-JoursCharte de 1830 relative à la Monarchie de Juillet,  Constitution de 1848 instituant la Deuxième RépubliqueConstitution de 1852 établissant le Second EmpireLois constitutionnelles de 1875 mettant en place la Troisième République).

La Thaïlande a fait mieux puisque de juin 1932 à aujourd’hui (août 2015) elle en a connu dix-neuf (juin 1932, décembre 1932, 1946, 1947, 1949, 1952, 1959, 1968, 1972, 1974, 1976, 1977, 1978, 1991, 1991, 1997, 2006, 2007 et 2014.

S’il y avait un exemple à suivre, mais ce n’était pas celui d’un état prédateur, c’était celui des États-Unis (non encore devenus état prédateur), dont la constitution depuis 1787 est immuable pour avoir été voulue comme telle par ses fondateurs, n’ayant jamais été modifiée mais simplement complétée par des amendements renforçant toujours les droits des citoyens (abolition de l’esclavage par exemple).

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F
Excellent article !
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G
Merci ! Notre ambition première est d'intéresser nos lecteurs