Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.
De tous temps, les états structurés ont éprouvé la nécessité de recenser leur population pour servir divers objectifs, conscription militaire, répartition de l'impôt, connaissance du nombre et des richesses de la population, etc ...
Nous connaissons tous l’un des plus célèbres de l’antiquité, celui de Quirinius, gouverneur de Syrie sous l’empereur Tibère « pour recenser tous l’univers » (1) resté célèbre pour avoir valu à Jésus-Christ de naître dans une étable. Il fut précédé de bien d’autres, en Egypte et en Chine en particulier.
Tel ne fut pas le cas du Siam au moins jusqu’au XIXème siècle : Les « Chroniques » et les « Annales » que nous avons longuement analysées ne nous donnent que des chiffres de toute évidence fantaisistes et hyperboliques tout autant que ceux de « La Génèse ».
Les premiers observateurs de l’expédition de Louis XIV ne nous encombrent pas de chiffre, y compris La Loubère qui fut certainement l’observateur le plus attentif et le plus scrupuleux.
Nous avons évidemment les chiffres de la période du XIXème, provenant de visiteurs étrangers, diplomates européens ou américains, érudits, missionnaires dont on ne sait trop sur quels paramètres ils ont fondé leurs conclusions, probablement leurs «observations personnelles » ? Leurs chiffres sont complétement divergents tant sur le nombre total d'habitants que sur leur répartition ethnique. Leurs données sont généralisées et extrapolés à partir de Bangkok, des zones environnantes, des provinces de la rivière Chao Phraya et des zones côtières sur l'ensemble du pays sans la moindre expérience (sauf peut-être Monseigneur Pallegoix) des régions hors Bangkok.
Ainsi par exemple, Crawford en 1822 évalue la population totale à 5.000.700 habitants dont 4.200.000 thaïs (84 %), 700.000 Chinois (près de 14 %), 15.000 Malais, 50.000 khmers et 42.000 Mons. Il ignore les Laos.
Monseigneur Pallegoix en 1854 aboutit à un chiffre total de 6.000.000 habitants dont 1.900.000 Thaïs (un peu moins d’un tiers), 1.000.000 de Laos (16 %), 1.500.000 Chinois (un quart de la population), 1.000.000 de Malais (encore 16 %), 500.000 Khmers (un peu plus de 8 %), 50.000 Mons et autant de Karens.
Aymonier en 1901 est à 8.000.000 dont 3.000.000 de Thaïs (37.50 %), 1.000.000 de Laos (12,50 %), 2.000.000 de Chinois (un quart), 1.000.000 de Malais (12,50 %), 800.000 Khmers (10 %), 100.000 Mons et 100.000 Karens. Terminons avec Lunet de la Jonquières en 1904 et restons-en là : Une population totale de 5.197.000 habitants comprenant 1.766.000 Thaïs (presque 34 %), 1.354.000 Laos (26 %), 523.000 Chinois (un petit peu plus de 10 %), 753.000 Malais (14,50 %), 490.000 Khmers (9,50 %), 130.000 Mons, 130.000 Karens et 51.000 « autres » (probablement les Indiens ?).
Ces divergences nous font douter que chez ces érudits, faute d’éléments sérieux, l’arithmétique soit une science certaine.
Nous vous avons parlé (2) d’un premier mais très partiel recensement ne concernant que Bangkok, qui a eu le mérite d’effacer de nos esprits certaines légendes bien tenaces, notamment celle selon laquelle ce sont les Chinois qui étaient maître des industries que la morale réprouve (Jeu, prostitution, usure) et nous a dévoilé avec une relative certitude que la population du Monthon était alors de 170.000 personnes (alors que Monseigneur Pallegoix l’évalue à « 4 ou 500.000 »).
Les Chinois composent alors 38 % de la population du Monthon de Bangkok ce qui a pu susciter la peur (irrationnelle ou pas) de Rama VI de voir son pays transformé en province chinoise. En 1897, Ernst von Hesse-Wartegg, un célèbre voyageur et écrivain allemand a pu écrire « Selon la plupart des estimations récentes, je suis entré dans Bangkok, Siam a environ dix millions d’habitants. Parmi ceux-ci sont un demi-million de Laos, un million de Malais, un million de Cambodgiens, un demi-million de Mon, Karen, Birman, et trois millions de Siamois. Il y a le même nombre de Chinois. Si l'immigration chinoise reste aussi élevée qu'elle l’est actuellement, les Chinois seront plus nombreux que les Siamois dans une décennie » (3).
Il semble pourtant évident que si cette proportion élevée de Chinois (25 ou 30 %) est plausible pour Bangkok ou certaines zones côtières, elle n'a aucun sens dans le reste du royaume qui n’a pas connu d’installation de Chinois dans les régions centrales et méridionales avant 1920.
Mais nous avons une certitude, tout au long du XIXème siècle, le Siam manqua de méthodes sophistiquées pour dénombrer sa population et toutes ces estimations restent discutables. Il n’existe aucun chiffre de la population globale pour tout le royaume.
L'équivalent d'un bureau de la statistique était le ministère des registres (krom suratsawadi กรมสุรัวดี) mais sa fonction consistait à vérifier si un groupe particulier remplissait ses obligations à l’égard du gouvernement et combien de main-d’œuvre et d’argent pourrait leur être demandé :
Le pays est composé de roturiers (phrai ไพร่) et d’hommes valides qui paient l’impôt (chaichakan, ชายฉรรจ์), obligés de répondre à la corvée au bénéfice de la couronne, qu’ils soient personnellement attaché au roi (les hommes du roi, phrailuang ไพร่ หลวง), ou à des seigneurs (phraisom ไพร่สม). Ils représentaient environ un quart de la population totale, les chaichakan attachés à différents services (กรม) selon des critères tels que la profession et l'origine ethnique. En outre, nous trouvons les esclaves pour dette (that ทาส) et les prisonniers de guerre (chaloeisuk เชลยศึก) enregistrés séparément.
Le gouvernement de Bangkok ne s’intéressait pas à la compilation des informations recueillies (une simple addition des chiffres des différentes catégories de personnes) mais pour autant qu’elle l’ait fait cela n’aurait concerné que les seuls roturiers mâles et pas leurs épouses et leurs enfants. Les esclaves, probablement un quart de la population totale, sont en tous les cas en dehors des procédures d’enregistrement.
En outre, dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, un grand nombre de personnes avaient fui les guerres birmanes en cherchant refuge dans les zones montagneuses et dans la jungle. Ni persuasion ni coercition n’ont pu entraîner leur retour dans les zones agricoles, ils échappaient ainsi au contrôle du gouvernement et éludaient l’enregistrement officiel.
La décision de réaliser un recensement sérieux fut de toute évidence liée à l’organisation de l'administration provinciale sous l’égide du prince Damrong Rachanuphap, ministre de l'intérieur. Il crée en 1892 le système des thesaphiban (เทศาภิบาล), de nombreux huamuang (หัวเมือง) fusionnés dans les divers cercles (monthon มณฑล ou monthon thesaphiban มณฑล เทศาภิบาล).
Les nouveaux monthon furent placés en 1892 sous l'autorité d’un krasuang mahatthai (กระทรวง มหาดไทย) équivalent d’un ministère de l’intérieur. Le krasuang mahatthai contrôlait les provinces du nord, le krasuang kalahom (กระทรวง กลาโหม ministère de la défense), les provinces du sud, et la krom tha (กรมท่า ministère de la marine) les provinces côtières. Ce fut seulement après cette réorganisation que des données statistiques plausibles purent être recueillies sous l’égide du ministère de l’intérieur (krasuang mahatthai). C’est alors que furent entrepris les préparatifs d'un recensement à l'échelle nationale quelques années avant 1904. Le décompte commença en janvier 1904 et fut réalisé en cinq mois (4).
Mais dans six monthon le recensement ne pu être réalisé (5). Quant aux douze monthon où le recensement a été effectué, les résultats ont été décrits par les auteurs du recensement comme « satisfaisants ». En effet, deux ou trois mois après que le personnel administratif avait achevé le recensement, les fonctionnaires reçurent l'ordre de faire une enquête post-censitaire dans certaines communes choisies au hasard pour savoir si le recensement initial avait été correct ou non. La conclusion fut que le personnel administratif avait effectué du très bon travail et que les erreurs ne dépassaient pas, confluèrent-ils, en moyenne, 2%. Le travail dura au total 5 mois.
Comment procéda-t-on ?
Le recensement exigeait évidemment une solide administration provinciale. Il manquait de fonctionnaires de district (amphoe krommakan กรมการ อำเภอ), de chefs de commune (kamnan กำนัน) et de chefs de village (phouyaiban ผู้ใหญ่บ้าน) disponibles et surtout compétents. L'administration provinciale a été mis en place étape par étape et put alors débuter l’enquête (banchi samruat บัญชี สำรวจ). Des registres ont été distribués aux chefs de district et aux chefs de village ce qui ne manqua pas de poser des problèmes puisque, si les chefs de district et les chefs de village dans leur majorité savaient lire, fort peu savaient écrire pour remplir correctement dans le registre. Pour cette raison, le recensement détaillé n'a pas pu être réalisé immédiatement et il fallut donc plusieurs essais pour obtenir un résultat concret.
Dans les monthon du sud, Saiburi, Kelantan Trengganu, il ne se trouva tout simplement pas un fonctionnaire capable de conduire le recensement
Précisons enfin que le premier recensement à l'échelle national au Siam (kansamruatsammanokhruaratsadonthuaratchaanachakthai,การสำรวจสำมาโนครัวราษฎรทั่วราชอาณาจกรไทย) n’a été réalisé qu’en 1909 – 1910 et amélioré en 1910-1911 et 1911-1912 et en outre que seul le recensement de 1919 qui a suivi fut conforme aux normes internationales contemporaines. A partir de 1960, la Thaïlande entreprend des recensements au début de chaque décennie conformes aux directives de l'ONU.
Mais les deux premiers recensements globaux (1910 – 1911 et 1929) qui aboutissent le premier à une population globale de 8.130.000 habitants et le second à 9.210.000, nous permettent d’analyser plus en profondeur les résultats du recensement partiel de 1904. Ils ont toutefois leurs lacunes, celui de 1910 – 1911 ne donne pas de données ethniques, celui de 1919 est « torturé » puisqu’il inclut dans l’ethnie thaïe tous les pratiquants du bouddhisme Theravada, Chinois, Khmers, Birmans …
Cette hésitation à reconnaître les races autres que la race thaïe semble bien être la conséquence directe de la montée du nationalisme sous le règne du roi Vajiravudh (1910-1925), visant à unir tous les citoyens sous la bannière «nation – religion -roi », création du sentiment de « thainess » au sein d’une population pluriethnique, une notion qui n’apparait pas encore dans le recensement de 1904.
Ce recensement a une portée limitée puisqu’il ne couvre que les douze cercles intérieurs (monthon มณฑล), environ les trois cinquièmes de la Thaïlande d’aujourd’hui. Bangkok et ses environs (Monthon Krungthep), le Nord-ouest (Lanna ล้านนา), le Nord-Est (Isan อีสาน) et une partie du sud malais ne sont pas couverts.
Les monthon recensés sont colorés en jaune et les monthon non recensés, en rouge (d’après une carte du professeur Volker Grabowsky (note 3) :
Il fournit une ventilation des différentes races (chat / chuachat, ชาติ เชื้อชาติ), en précisant les critères de définition de ces groupes ethniques. Il comprend enfin les ménages (maison) et les animaux de trait.
Les chiffres globaux :
La population des 12 monthon est la suivante :
1.624.462 hommes et 1.683.570 femmes soit un total de 3.308.032 personnes réparties par monthon comme suit :
Nakhon Si Thammarat : 645.545
Krung Kao : 484.236
Nakhon Ratchasima : 402.068
Ratchaburi : 344.402
Prachin Buri : 282.053
Nakhon Chaisi : 246.734
Nakhon Sawan : 228.497
Phitsanulok : 196.739
Phuket : 178.599
Chumphon : 129.901
Chanthaburi : 94.977
Phetchabun : 74.281
La répartition par ethnies est la suivante :
La répartition par ethnies est la suivante :
Thaïs : 2.677.987 - 80,95 %
Malais : 289.423 - 8,75 %
Chinois : 195.498 - 5,90 %
Khmers : 78.704 - 2,37 %
Mons : 29.156
Karens: 19.257
Vietnamiens : 4.757
Cham : 1.601
Shan : 944
Birmans : 607
Indiens : 518
Javanais : 371
Blancs : 178
Tavoys : 45 (ทวาย), une ethnie de Birmanie probablement en voie de disparition ?
La question de la répartition par ethnies posa quelques difficultés : Bien des habitants du royaume étaient d’origine mixte et difficiles sinon impossibles à classer selon des critères raciaux. Nous allons le voir avec la communauté chinoise.
Les ethnies non thaïes
Un peu plus de 80 % des habitants de ces douze monthon sont des thaïs ethniques, quant aux 25 % de non-thaïs, il reste à savoir comment ont été définies les procédures d’enregistrement :
Les Chinois
Commençons par les chiffres, ils sont 195.498 répartis par monthon comme suit, entre parenthèse, le nombre d’habitants recensés dans la province suivi du pourcentage lorsqu’il est significatif :
Ratchaburi : 38.767 - (344.402) - 11,25 %
Prachin Buri : 35.912 - (282.053) - 12,73 %
Nakhon Chaisi : 33.992 - (246.734) - 13,77 %
Phuket : 32.408 - (178.599) - 18,14 %
Krung Kao : 18.615 - (484.236)
Chanthaburi : 10.080 - (94.977) - 10,61 %
Nakhon Si Thammarat : 9.303 - (645.545)
Nakhon Sawan : 6.283 - (228.497)
Phitsanulok : 4.442 - (196.739)
Chumphon : 3.129 - (129.901)
Nakhon Ratchasima : 2.431 - (402.068)
Phetchabun : 136 - (74.281)
C’est toujours l’ethnie la plus nombreuse et qui domine la sphère économique. Ils sont installés depuis la période de Sukhothai, actifs dans le commerce et l'artisanat. Taksin (1767-1782), le libérateur est lui-même à demi chinois. Jusqu’au milieu du XIXème ils sont en petit nombre hors Bangkok.
Leur venue sera encouragée dans les décennies suivant la fondation de la nouvelle capitale de la Thaïlande (1782) et connaîtra une inflation galopante à la suite du traité de Bowring en 1855 et la rébellion Taïping dans le sud de la Chine (de 1850 à 1865, des millions de morts et des millions de fugitifs).
En outre, la Chine est déjà en état de surpopulation et le Siam ensuite d’une période de guerres perpétuelles, en état de sous-population.
Si l’immigration massive commença en 1917, le recensement de 1904 révèle que les Chinois constituent une minorité non négligeable dans les douze monthon intérieurs, 5,90% du total. Ainsi, dans le bassin inférieur de la Chaophraya, 13,77% à Nakhon Chaisi, 12,73% à Prachinburi, 11,25 % à Ratchaburi, le long de la côte orientale, 10,61 % à Chanthaburi) et sur la côte sud-ouest à 18,14 % Phuket. Le recensement n’inclut pas le monthon de Bangkok où 198.000 seront dénombrés en 1909. Si l’on tient compte d’un taux d’augmentation de la population de 1,5 % par an, des 195.498 Chinois enregistrés dans les 12 monthons et des 198.000 de Bangkok, on peut estimer le total à près de 400.000 chinois pour le pays.
Mais il faut probablement réajuster ces chiffres à la hausse : La plupart des chefs de commune et des chefs de village qui avaient la responsabilité du recensement ne parlaient ni ne comprenaient le Chinois. Les Chinois immigrés avaient dans la plupart des cas pris des femmes thaïes auxquelles ils avaient évidemment fait des enfants. Les descendants mâles portaient habituellement la natte chinoise mais après plusieurs générations, ils étaient incapables de parler chinois. Les femmes s’habillaient et se coiffaient dans le style thaï. Comment dès lors déterminer s’ils (elles) étaient Thaïs(es) ou Chinois(es) ? Les recenseurs eurent pour instructions de s’attacher à des critères apparents bien que superficiels, les vêtements ou la coupe de cheveux. Les instructions données aux responsables étaient les suivantes : « Toutes les femmes portant des vêtements de style thaïlandais seront comptées comme Thaïes ». Même chose évidemment pour les hommes portant encore la natte. Il fallait pour être considéré comme Chinois porter des tresses !
Les Malais
Commençons par les chiffres selon les provinces, selon le même schéma que pour les Chinois :
Nakhon Si Thammarat : 240.642 - (645.545) - 37,27 %
Phuket : 34.903 - (178.599) - 19,54 %
Krung Kao : 5.235 - (484.236)
Prachin Buri : 5.137 - (282.053)
Chumphon : 1.986 - (402.068)
Ratchaburi : 1.380 - (344.402)
Dans certains monthon on les compte sur les doigts d’une main.
Ils constituent la plus importante minorité non bouddhiste du Siam. Tous les Malais sont tous attachés à la religion du Prophète et pratiquement tous les mahométans thaïs sont d'origine malaise. La grande majorité vit dans l'extrême sud du pays. Ils forment aujourd’hui la majorité de la population dans les provinces de Pattani, Yala et Narathiwat qui constituaient alors le noyau du Sultanat de Pattani, état tributaire (prathetsarat ประเทศ ราช) du Siam depuis la période d'Ayutthaya. En 1904, cette région dépendait du monthon de Nakhon Si Thammarat. Deux ans plus tard fut créé le monthon de Pattani. Dans les monthon de Saiburi, de Kelantan et de Trengganu, les musulmans une écrasante majorité mais le recensement de 1904 ne couvre pas ces territoires que le Siam a dû céder à la Malaisie britannique en 1909. Satun, la partie la plus septentrionale du monthon de Saiburi (Kedah), restée siamoise, a rejoint le monthon de Phuket.
Le dénombrement des Malais a probablement été plus facile et plus fiable que celui des Chinois. La religion, la langue, les coutumes (port de la barbe pour les hommes, voile pour les femmes) ont facilité la tâche des fonctionnaires chargés du recensement. Si l’on tient compte du recensement de 1919 incluant les Malais de Bangkok, on peut raisonnablement estimer qu’il y avait en 1904 330.000 Malais au Siam.
Les Khmers
Voilà les chiffres par monthon de ces 78.704 personnes qui constituent 2,4% de la population des monthon intérieurs, recensés au vu essentiellement de critères linguistiques :
Nakhon Ratchasima : 41.038 - (645.545) - 6,30 %
Ratchaburi : 19.886 - (344.402) - 5,77 %
Prachin Buri : 10.732 - (282.053) - 3,80 %
Chanthaburi : 3.296 - (94.977) - 3,47 %
Nakhon Chaisi : 3.135 - (246.734)
Dans certains monthon on les compte sur les doigts d’une main.
Ils constituent donc le troisième groupe ethnique en importance auquel nous attribuons deux origines, les Khmers vivant dans les zones frontalières du Cambodge (Prachin Buri et Nakhon Ratchasima) et les descendants des captifs de guerre (Ratchaburi et Nakhon Chaisi).
Le second groupe est le plus faible en nombre. Lors des guerres entre le royaume d’Ayuthaya et le Cambodge, un grand nombre de Cambodgiens ont été déportés au Siam. Les chroniques parlent de 90.000 prisonniers de guerre cambodgiens capturés lors de la conquête d'Angkor en 1431. Ce sont ces captifs comprenant de nombreux scribes et des artisans qui ont contribué à répandre la culture et les coutumes Khmers à Ayutthaya. Il y eut des vagues ultérieures, après 1771 et dans les années 1840. Les prisonniers de guerre cambodgiens et leur descendance constituèrent une partie importante de la main-d'œuvre dans le centre du Siam. Les canaux (khlong คลอง) de Bangkok ont été creusés part 10.000 ouvriers khmers. La concentration de Khmers ethniques à Ratchaburi est consécutive à la défaite de 1771 due à Rama Ier qui y installa 10.000 Khmers. Ce sont les khamen doem (เขมร เดิม Khmers d’origine.
Un autre groupe connu sous le nom khamen mai (เขมร ใหม่ nouveaux Khmers) est probablement arrivé dans le courant du troisième règne. Mais tous ces Khmers vivant au milieu d’une population siamoise et bouddhiste comme eux ont été facilement assimilés, plus en tous cas que dans les zones frontalières du Cambodge où ils restent les plus nombreux. La plupart des 41.000 khmers du monthon de Nakhon Ratchasima vivaient dans la partie sud-est, actuellement la province de Buriram. En dehors de Buriram, de nombreux Khmers vivaient dans le monthon Isan que le recensement de 1904 ne couvre pas. Si l’on considère qu’actuellement dans les provinces de Surin et Sisaket les Khmers ethniques représentent respectivement 70% et 30% de la population, on peut supposer qu’en 1904 ces pourcentages étaient similaires sinon supérieurs, aux 78.000 Khmers des douze monthon intérieurs il faudrait en rajouter 175.000 Khmers vivant à Sisaket et à Surin. Relevons aussi l’existence d’un nombre important de Khmers vivant dans la partie sud de Ubon Ratchathani, mélangée avec des populations tribales, les Kui (6).
On peut donc en extrapolant supposer qu’il y avait en 1904 entre 250 et 300.000 Khmers vivant au Siam. Ce chiffre ne tient évidemment pas compte de plus de 200.000 Khmers qui vivaient dans les provinces cambodgiennes de Battambang et de Siem Reap, territoires qui firent jusqu’en 1907 partie de la Thaïlande sous le nom de monthon Burapha non visé par le recensement (7).
Les Mons
Nous les trouvons pour un total d’un peu plus de 29.077 personnes réparties comme suit, recensés eux aussi au vu de critères linguistiques :
Ratchaburi : 12.806
Nakhon Chaisi : 6.822
Nakhon Sawan : 2.943
Krung Kao : 2.532
Nakhon Ratchasima : 2.259
Prachin Buri : 1.715
Ils sont (ou ils étaient) les descendants d'immigrés en provenance de Birmanie inférieure, ceux de l’époque du Dvaravati avaient alors probablement complètement disparu (8). Ils sont arrivés au Siam depuis la fin du XVIème siècle, captifs de guerre (en 1595, après la conquête de Pegu par le roi Naresuan), ou encore déserteurs des armées birmanes (recrutés en 1662 quand les Birmans lancèrent une guerre contre la Chine) ou enfin réfugiés politiques après la destruction de Pegu par les Birmans en 1757 et en 1815.
On les trouve essentiellement dans le monthon de Ratchaburi et au sud et à l'ouest de Bangkok (monthon de Krung Thep et Monthon de Nakhon Chaisi). Ils épousèrent volontiers des Thaïes ethniques ce qui facilita une complète assimilation. Dans le nord-ouest et le nord-est du Siam, ils sont inexistants. Le recensement de 1909 ne les distingue plus comme race distincte. Peut-être, compte tenu du monthon de Bangkok, étaient-ils encore 50.000 en 1904 ?
Les Karens
Nous savons qu’ils sont un peu plus de 19.000 répartis comme suit :
Nakhon Sawan : 10. 819
Ratchaburi : 6.288
Nakhon Chaisi : 1. 232
Prachin Buri : 523
Phetchabun : 288
Nakhon Ratchasima : 65
… et très peu ailleurs dans les autres monthon.
Les Thaïs « originaires »
Le recensement de 1904 ne distingue pas les Thaïs des Laos habitants du nord-est, le « Laos siamois ». D’après les explications fuligineuses données en introduction du recensement, la différence ne peut se faire. Laos et Siamois parlent la même langue avec simplement un accent et un vocabulaire différent mais ils proviennent de la même souche. En outre, tous les Laos se considèrent comme Thaïs ! Nous retrouvons la tendance à faire l’impasse sur des ethnies autres que celles du centre dégagée bien avant le recensement de 1904. Ainsi, en 1899, les monthon du nord-ouest et du nord-est ont été rebaptisés pour éradiquer toute trace ethnique khmer ou lao. Le monthon Lao Phuan est devenu Udon dans le nord-est, celui de Lao Chiang est devenu Phayap dans le nord-ouest et l'ancien monthon Khamen (Khmer) s’est transformé en monthon Burapha. De nombreux Laos vivaient dans toutes les provinces centrales, Suphanburi, Saraburi, Ratchaburi et Chanthaburi. Ils étaient issus des prisonniers de guerre réinstallés il après les deux grandes guerres entre Bangkok et Vientiane (1778 et 1877- 78). Si au départ les roturiers lao avaient été reconnus comme tels et organisés dans des divisions spécifiques (kong กอง) l’ethnicité lao a ensuite été éradiquée …
Pas de Laos dans le recensement de 1904 alors qu’ils représentent probablement 30 % de la population mais dénier la réalité ethnique, ce n’est pas la supprimer !
Les religieux
Le recensement nous apprend qu’il y a 2.939 personnes cataloguées comme « prêtres des autres religions non bouddhistes » dont la ventilation par monthon ne nous est pas donnée. Il s’agit pour l’essentiel des imans de la religion du Prophète et des quelques missionnaires catholiques ou protestants. Ils opèrent dans 354 mosquées, ou églises chrétiennes.
Par contre, nous savons que pour satisfaire aux besoins religieux de ces 3.308.032 de Siamois (enlevés les mahométans et les chrétiens, il en reste en moins 3 millions), le pays disposait de pas moins de 51.724 moines et de 10.411 novices (personnes dans le service religieux banphachit บรรพชิด). 62.315 religieux pour 3 millions d’habitants, cela fait un peu plus de 2 « confesseurs » pour 100 personnes, une proportion qui devait déjà faire pâlir de jalousie les missionnaires catholiques (il y a dans la France de 2015 un peu plus de 20.000 prêtres pour un peu plus de 60 millions d’habitants !). Pour des raisons inexpliquées, ces ecclésiastiques ne sont pas inclus dans le chiffre global de la population.
Le nombre de moines selon les monthon est le suivant :
Krung Kao : 11.401
Ratchaburi : 7.948
Prachin Buri : 5.211
Nakhon Ratchasima : 5.048
Nakhon Si Thammarat : 4.755
Nakhon Sawan : 4.510
Phitsanulok : 4.171
Nakhon Chaisi : 3.092
Chanthaburi : 1.666
Chumphon : 1.607
Phuket : 1.005
Phetchabun : 650
Le nombre des moinillons (novices) par monthon est le suivant :
Nakhon Ratchasima : 3.820
Krung Kao : 1.304
Phitsanulok : 1.216
Nakhon Sawan : 1.097
Phetchabun : 566
Prachin Buri : 504
Nakhon Si Thammarat : 433
Ratchaburi : 421
Phuket : 377
Chumphon : 344
Nakhon Chaisi : 295
Chanthaburi : 34
Les temples
Ces religieux opèrent dans 5.699 monastères bouddhistes répartis comme suit :
Ces religieux opèrent dans 5.699 monastères bouddhistes répartis comme suit :
Krung Kao : 1.128
Nakhon Si Thammarat : 843
Nakhon Ratchasima : 642
Prachin Buri : 602
Ratchaburi : 524
Nakhon Sawan : 455
Phitsanulok : 428
Nakhon Chaisi : 333
Chumphon : 203
Chanthaburi : 201
Phuket : 174
Phetchabun : 166
Il nous est difficile d’en tirer quelques conclusions que ce soit, les provinces les plus peuplées ne sont pas forcément les plus religieuses ? En tout état de cause, au XXIème siècle, le nombre des temples n’a pas diminué, bien au contraire puisqu’on en construit tous les jours, celui des moines non plus, mais la population a été multipliée par 10.
Les maisons
Nous entrons (enfin ?) dans des renseignements plus concrets mais les conclusions à en tirer ne sont pas d’une évidence criante : le recensement nous apprend qu’il y a 1.624.462 hommes et 1.683.570 femmes soit un total de 3.308.032 personnes mais combien cela représente-t-il de foyers ? Si l’on tient compte de la marmaille, probablement moins de la moitié des 3.308.032 personnes. En effet, le recensement a décompté 1.053.781 « maisons » ce qui fait que chacune d’elle serait occupée par un peu plus de 3 personnes, ce qui correspond à un couple avec un enfant ? La répartition de ces « maisons » par monthon respecte peu ou prou cette proportion :
Nakhon Si Thammarat : 192.220
Krung Kao : 183.147
Ratchaburi : 118.885
Nakhon Ratchasima : 107.013
Prachin Buri : 97.806
Nakhon Sawan : 85.170
Nakhon Chaisi : 81.646
Phitsanulok : 52.712
Phuket : 45.453
Chumphon : 36.797
Chanthaburi : 33.142
Phetchabun : 19.789
Chaque foyer semble avoir donc eu son logement selon les normes de l’époque sans que malheureusement nous puissions savoir si l’occupation était locative ou en pleine propriété ?
Les bêtes de somme :
Ce sont les outils de travail, les tracteurs de l’époque, le recensement nous annonce dans nos monthon 2.036 éléphants, 35.812 chevaux, 1.104.751 vaches et 1.144.478 buffles.
Les éléphants, les caperpilar de l’époque, sont peu nombreux :
Nakhon Si Thammarat : 567
Chumphon : 416
Nakhon Sawan : 249
Phuket : 234
Nakhon Ratchasima : 215
Phitsanulok : 202
Ratchaburi : 97
Krung Kao : 20
Prachin Buri : 15
Phetchabun : 13
Nakhon Chaisi : 8
Les chevaux qui sont également utilisés comme bête de trait (les Thaïs ne les mangent pas) sont répartis comme suit :
Krung Kao : 11.120
Prachin Buri : 5.290
Nakhon Ratchasima : 4.869
Ratchaburi : 2.855
Phitsanulok : 2.572
Nakhon Sawan : 2.470
Nakhon Chaisi : 2.298
Chanthaburi : 2.192
Phetchabun : 1.032
Chumphon : 686
Nakhon Si Thammarat : 243
Phuket : 185
Les vaches (qui donnent le lait) sont 1.104.751, en moyenne probablement une par foyer, réparties comme suit :
Nakhon Si Thammarat : 339.952
Ratchaburi : 292.393
Nakhon Ratchasima : 243.219
Nakhon Chaisi : 16.384
Krung Kao : 52.323
Prachin Buri : 24.288
Phetchabun : 15.470
Phuket : 6.509
Nakhon Sawan : 5.628
Phitsanulok : 5.581
Chanthaburi : 1.908
Chumphon : 1.096
Les buffles enfin, 1.144.478 buffles, les tracteurs de l’époque (encore selon toute apparence un par foyer) sont répartis comme suit :
Krung Kao : 149.216
Nakhon Sawan : 136.317
Nakhon Si Thammarat : 134.956
Nakhon Ratchasima : 106.510
Phuket : 135.468
Prachin Buri : 128.307
Phitsanulok : 103.866
Chumphon : 96.671
Nakhon Chaisi : 68.912
Chanthaburi : 42.635
Phetchabun : 23.648
Ratchaburi : 17.972
En admettant donc que la richesse soit répartie (ce qui reste à démontrer), chaque famille a donc ou aurait donc une vache (pour le lait) et un buffle (pour le travail de la terre) ? Le recensement n’a porté ni sur les cochons ni sur les poulets.
Les véhicules
Il ne s’agit évidemment pas de véhicules « à moteur à gaz de pétrole », il n’y en a que quelques uns à Bangkok, ils appartiennent au Roi. Lorsque les chemins de terre sont impraticables en saison des pluies, on circule par voie d’eau. Le recensement, sans en faire la ventilation par monthon, dénombre 113.920 chars à bœufs et 293.519 navires.
Reste enfin à savoir si ces chiffres sont fiables et si l’erreur de 2 % admise par les recenseurs correspond à la réalité.
Le résultat était en tous cas flatteur puisque les recensements de ce siècle comportent toujours une erreur minimum de 1 % (avouée donc minimisée) Le professeur Grabowski pour sa part et avec une logique mathématique conclut à une sous-estimation de 25 % au vu d’une part des chiffres du recensement de 1909 – 1910, conduit de manière moins empirique et d’autre part de la réalité arithmétique d’un accroissement annuel de la population de 1,5 % par an. Pourquoi ces sous-estimations ?
On peut y voir plusieurs raisons : Tout d’abord, dans les zones montagneuses en particulier, certains villages sont encore et toujours très difficiles d’accès (dans les actuelles provinces de Phetchabun ou de Nakhonsithammarat pour celles que nous connaissons, ce n’est pas pour rien que les maquis communistes s’y cachèrent pendant des années), c’était évidemment pire en 1904 notamment en saison des pluies en l’absence de toutes voies de communication. Dans les régions maritimes ensuite, toute une population instable d’habitants de la mer pour la plupart d’origine malaise occupant plus ou moins temporairement les îles de la mer d’Andaman ou les « cent îles » de l’actuelle province de Suratthani (alors dépendant de Nakhonsithammarat) ne devait pas non plus être bien facile à recenser, la nonchalance des fonctionnaires siamois aidant.
On peut aussi supposer que les administrés étaient probablement réticents à apparaître sur des listes établies par l’administration préférant vivre cachés pour vivre heureux sans dévoiler leurs modestes richesses, « phobie administrative » tout simplement, une opération de recensement de grande envergure laisse évidemment supposer de lourdes arrières pensées fiscale ? Si nous y ajoutons l’absence d’un système d’état civil fiable, ces erreurs sont parfaitement plausibles.
NOTES
(1) Saint Luc, II, 2.
(2) Notre article 152 « Le premier recensement effectué au Siam en 1883 ».
(3) « Siam, das Reich des weißen Elefanten ». Leipzig 1899 cité par le professeur Grabowski (voir la note suivante).
(4) Ce recensement méconnu des auteurs a fait l’objet d’une traduction et d’une remarquable synthèse du professeur Volker Grabowsky dans le journal de la Siam society « The Thai Census of 1904 : Translation and Analysis » volume 84 - I de 1996. Elle est étayée d’une énorme bibliographie, de sources essentiellement thaïes.
Professeur d’ethnologie à l’Université de Hamburg, il est le grand spécialiste allemand de la Thaïlande. Il ne semble pas qu’il a fait l’objet d’une publication imprimée comme celui de 1883. Il se trouve aux Archives nationales de Bangkok : « ทูลถวายบัญชีสำมะโนครัวพลเมืองซึ่งได้สำรวจเมื่อ ศก ๑๒๓ Présentation des résultats du cens de la population effectué l’année 123) National Archives, Bangkok, R.5, Mahatthai 2.19 I 4 ».
(5) Le recensement vise donc les monthon de Nakhon Si Thammarat, Nakhon Ratchasima, Nakhon Sawan, Krung Kao (Ayutthaya), Ratchaburi, Nakhon Chaisi, Phitsanulok, Chumphon, Prachinburi, Phuket, Phetchabun et Chanthaburi. Les six monthon exclus sont celui de Bangkok puisque ne dépendant pas du ministère d’intérieur et Phayap, Udon, Isan, Burapha et dans le sud Saiburi, Kelantan et Trengganu considérés comme un seul monthon, faute de personnel compétent.
(6) Les Kui (กูย), aussi connus sous le nom de khamen padong (เขมรป่าดง Khmers de la forêt) étaient nombreux jusqu’au XVIIème siècle en Isan mais se sont progressivement assimilés aux Laos ou aux Khmers. On estime que 150.000 personnes parlant le Kui vivent encore dans les provinces de Surin, Sisaket et Ubon Ratchathani.
(7) Un recensement fut effectué par les français en 1911 dans la nouvelle province de Battambang (comprenant alors Siem Reap) pour un résultat de 242.813. C’est en présupposant un accroissement annuel de la population de 1,5 % par an que le professeur Volker Grabowsky parvient à une approximation cohérente de 200.000 vivant dans le monthon de Burapha selon le décompte en 1904.
(8) Il subsistait toutefois à cette époque quelques centaines de Mons vivant dans des villages reculés des provinces de Chayaphum et Petchabun qui étaient ou prétendaient être des descendants de la période Dvaravati.