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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Le roi Rama VII fut avant et après son accession au trône, un grand voyageur, plus peut-être que son père Rama V. Les voyages de son père ont fait l’objet d’abondants écrits, relatés en détail, en particulier, dans la presse française (1) et par sa propre correspondance (2), il n’en est malheureusement rien pour les siens et nous ne bénéficions (en français et en anglais tout au moins) à une exception près mais qui nous laisse souvent su note faim (3), que de sources squelettiques.

 

Les visites de son pays

S’il a ou aurait visité tout son royaume, nous savons malheureusement peu de choses sur ces périples, sinon le contenu d’un discours prononcé lors d’une visite dans le nord-ouest à Chiangmai en 1926 où il a exhorté ses sujets « à lui être fidèle, être honnête, d’abstenir de pratiques de corruption et de ne pas causer des dommages à leurs compatriotes ». S’adressant aux marchands chinois il leur affirme qu'il les considère « comme des frères et sœurs de la Thaïlande ».

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

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Nous connaissons sa vie en Europe et son long séjour en France et en Angleterre avant son retour au Siam en 1917 et son mariage en 1918 (4).

 

Quelles furent les conditions de son voyage à l’aller ? Nous l’ignorons. Durant son séjour, profita-t-il de ses loisirs pour faire du « tourisme » ?  Il n’en eut probablement guère l’occasion dans ses collèges anglais et encore moins à l’Ecole militaire. Il aurait toutefois effectué à cette époque des séjours en France et en Allemagne ? Nous savons en tous cas qu’il occupait ses loisirs par la pratique du sport pour améliorer sa santé déjà précaire, essentiellement le golf et la chasse, à courre évidemment puisque nous le savons bon cavalier (5).

 

De retour au Siam pour assister aux cérémonies funéraires de son père et au couronnement de son frère en 1910 (nous ignorons encore les conditions du voyage de retour, évidemment précipité), le retour en Angleterre s’effectué par le chemin des écoliers : Japon, Hong Kong, Shanghai et la Russie par le Transsibérien. A-t-il rencontré à Moscou son frère aîné, le prince Chakrabongse Bhuvanath incoporé dans le corps des pages du Tzar ? On peut le supposer ?

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Nous savons aussi qu’en 1920, tombé gravement malade son médecin siamois lui recommanda un changement de climat et le traitement d'un spécialiste en Europe. Il consulta donc le Docteur Hepp, à Paris, qui diagnostiqua la dengue et des troubles intestinaux, et le traita pendant 6 semaines jusqu'à ce qu'il soit guéri. Sur le chemin de la France, il fait avec son épouse une étape en Egypte et en Italie.

 

 

Il rencontre en Egypte Ali Maher Pacha

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plus tard (en 1936) premier ministre avec le quel il serait entretenu des difficultés à maintenir l'indépendance de son pays. Note monarque était en ce domaine plus apte à donner des leçons qu’à en recevoir. Il y rencontre aussi (et surtout ?) Mansoor, un amateur égyptien propriétaire privé de l’une des plus belles collections d’antiquités égyptiennes au monde.

Photo non datée, le collectionneur est à la gauche du roi :

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Avant son couronnement, nous le retrouverons au début du mois de septembre 1923, venu avec son épouse prendre les eaux à Saint-Alban-les-eaux (près de Roanne) et « excursionner dans les campagnes et les montagnes environnantes » (6). 

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Toujours avant son couronnement, une fois terminée sa formation militaire, et sur instructions royales, il retourne au Siam en passant par les États-Unis, le Japon et Hong Kong, ces visites n’étaient pas officielles mais lui permirent de  rencontrer un certain nombre de personnalités dans ces pays.

 

Les voyages en Asie

 

Au mois de juillet  1929, il effectue une  visite dans les pays voisins : Singapour, Java et Bali, non pas pour y trouver des modèles de démocratie (difficile à dire pour les colonies anglais et hollandaises qui sont gérées de façon quasi esclavagiste) mais observer l'administration coloniale et les institutions modernes tels que les hôpitaux, les universités, les chantiers navals, les projets de promotions de l’agriculture et de la pêche mais aussi (et surtout ?) visiter les sites culturels et archéologiques, les musées, étant naturellement reçu par les dirigeants locaux. Musicien lui-même, il s’est tout particulièrement intéressé à la musique de gamelan (la musique traditionnelle balinaise) et aux danses locales et ethniques de Java et de Bali. Deux ensembles d'instruments de musique gamelan lui ont été offerts, maintenant conservés au Musée national de Bangkok. Il a visité avec attention les sites archéologiques de Borobudur

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et PrambananJava

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dans des visites guidé par un érudit néerlandais. Le roi il en a ramené des sculptures balinaises  représentant des figures mythiques qui décorent actuellement les somptueux  jardins de Klai Kangwon Palace, sa résidence balnéaire privée de Hua Hin.

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Entre le mois de mai et le moins de juin 1930, il visite les pays indochinois sous protectorat français, le Vietnam et le Cambodge.  Motifs officiels de la visite ? « Promouvoir l'amitié et une meilleure compréhension avec le gouvernement français et les dignitaires indigènes dans ces pays ». Au Vietnam, il a été chaleureusement accueilli par le gouverneur général Pierre Pasquier à Saigon, l'ambassadeur de France au Siam et le maire de Saigon qu’il dote tous de nombreuses décorations siamoises. La Reine effectue en priorité une visite officielle à la reine mère à sa résidence impériale. Le Roi de son côté est accueilli officiellement par le Régent de l'Empire d'Annam, Hoang-Cao-Khai.

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A Saigon, le couple visite l'Institut Pasteur, le collège des Beaux-Arts, le Musée, un temple vietnamien, le Jardin botanique et le zoo, un hôpital, une école franco-chinoise et assiste à un match de football entre le Siam et l’Indochine. Visites culturelles encore à Hué (la cité impériale, les sept tombes impériales), 

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Na Trang et Dalat, la baie de Lan-Co, le Musée Cham à Danang, le temple Cham de Po nagar,

 

 

 

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des cascades, une communauté moï à Dalat, deux fermes agricoles modèles, l’une de produits laitiers, l’autre de fruits et la ville de Fanthiet réputée pour sa production de sauce de poisson. Il en profita pour orner tout ce que le Palais Puginier 

 

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

(aujourd’hui siège du parti communiste) à Hanoï comptait de poitrines officielles de magnifiques décorations et pu se réjouir d’entendre ces bons républicains se gargariser de « Sa Majesté par ci, sa Majesté par là » (7).

 

Le couple se retrouve ensuite au Cambodge, visite naturellement Angkor Wat, Kampong Cham, Kampong Thom, Phnom Penh et Battambang.  Survint alors un malheureux accident qui va écourter le voyage : l’une des voitures automobiles de sa suite est accidentée, l'une des dames de son entourage est blessée à la tête et décède. Le roi décline alors toutes les obligations, animations, visites officielles et réceptions prévues  et retourne au Siam via Aranyaprathet.

 

Les visites dans le monde occidental

 

Il doit se rendre une première fois aux Etats-Unis en 1930, année de la tempête économique mondiale, pour subir sa première opération des yeux. Il revient à la mi octobre à Bangkok.

 

Au printemps de l’année 1931, il se rend avec son épouse aux Etats-Unis et au Canada pour subir la seconde opération de la cataracte de l'œil gauche. 

 

Arrivée à New-York, photo de ? 1931 :

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Ce voyage purement officieux, lui permit tout à la fois de se livrer à des activités formelles (rencontre avec les dirigeants politiques)

 

Rencontre avec le vice-président Charles Curtis et le secrétaire d’état Henry L. Simson :

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

et aussi informelles jusqu’à leur retour le 12 octobre 1931.  Le roi est né en 1893, l'année de sa naissance coïncide avec l'avènement de la cinématographie : cette année, Thomas Edison a produit le premier appareil appelé Kinetoscope.

 

 

 

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

et l'a vendu dans le monde entier. Cet événement a probablement eu un impact sur l’intérêt manifesté par le roi pour le cinématographe.

 

Rencontre avec Douglas Fairbanks et Mary Picford :

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Rencontre avec Zucor, le fondateur de la Paramount :

 

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L’opération se déroule à  White Plains, dans le Maryland, où le couple a loué une vaste villa pour le temps du séjour et de la convalescence. Ils partagent leur temps entre les visites d’agrément,

 

Rencontre privée de la reine et de la volumineuse mais charmante Madame Hoover :

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

et les réceptions officieuses sinon officielles puisque le voyage est strictement privé. Ils rendront ainsi en couple une visite de courtoisie au président et Mme Herbert Hoover à la Maison Blanche le 29 Avril.

 

 

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Ils seront officiellement accueillis par la Ville de New York à New York City Hall, le 4 mai 1931

 

Accueil à la mairie de New-York par le maire, J. Walker :

 

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après l’avoir été deux jours avant par la Golden Key (une espèce de Rotary de l’époque en plus élitiste ?) à White Plains. Le roi fut également honoré d’un titre de « docteur honoris causa » de l'Université George Washington, en reconnaissance de « sa capacité de gouverner ». Au cours d’une interview donnée à des membres de la presse américaine à Ophir Hall (appelé aussi Reid Hall Castel, un monument situé à New York, sommet du mauvais goût américain), 

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le roi a ou aurait laissé entendre qu'il avait l'intention d'accorder le suffrage universel « en temps voulu ».

Avant son départ, le couple reçut le 24 juillet 1931 son baptême de l’air en ballon dirigeable, on aperçoit sur la photographie le roi à une fenêtre de l’appareil :

 

 

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La visite, toujours officieuse, se poursuit au Canada où le couple est accueilli, à Ottawa, le 10 août 1931. Le Canada ne contient pas plus de trésors architecturaux que les Etats Unis mais le roi participe – très démocratiquement - à des compétitions sportives avec les populations locales, nous ne savons lesquelles. Le retour au Siam se fera sur un navire canadien, un transit à Shanghaï où le couple participe à la célébration de la Journée du Vesak (fête célébrant la naissance, l'illumination et la mort du Bouddha) et au Hibaya Park à Tokyo

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

il participe à la cérémonie bouddhiste du Hinamutsuri. Le couple est naturellement allé saluer l'empereur Hirohito à son palais où s’échangèrent les décorations japonaises et siamoises les plus élevées.

 

 

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Au début de l’année 1933, la vision du roi décline. Il décide d'aller en Angleterre pour subir une nouvelle opération et y effectuer sa convalescence. L'opération de l'œil est réalisée et réussie par le Dr Sir Stewart Duke, spécialiste mondial de l’ophtalmologie, à l' « Hôpital Clinic » de Londres.

 

 

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Sur le chemin du retour, il effectue des visites dans de nombreux pays d’Europe, on ne sait trop lesquels.

 

Le périple de 1934

 

Toujours pour soigner ses problèmes oculaires, le 12 Janvier 1934, accompagné de la reine et d’une petite suite, il quitte le pays pour l'Europe et subir en Angleterre une deuxième opération des yeux. Ce sera son dernier voyage avant celui, définitif, pour son exil.

 

Version « officielle » que l’on trouve reproduite à peu près partout sous une forme angélique ou sous une autre …. « Sur le chemin, il a également fait des visites d'observation pour étudier divers modèles de démocratie pratiquée dans les différents pays, et de rencontrer de nombreux dirigeants et dignitaires de ces pays à l'époque ». Pour y apprendre le fonctionnement d’une démocratie de première main ? La belle affaire !

 

Quels pays le couple a-t-il visité? Il en a visité neuf : l’ItalieVatican, la France avant l’opération chirurgicale effectuée le 10 mai 1934, le Danemark, l'Allemagne, la Belgique, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et enfin la Suisse.

 

Le passage en Suisse a été exclusivement privé, on peut supposer que le monarque est allé à Lausanne rencontrer la très belle princesse Srinagarindra, veuve de son frère, le prince Mahidol et mère des deux petits princes qui seraient appelés à régner sous le nom de Rama VIII et Rama IX ? 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Le monarque, dont le trône était chancelant, ne pouvait ignorer qu’en vertu de la loi successorale proclamée par son frère Rama VI en 1924 (8) et après l’exil de son frère préféré et successeur privilégié, le Prince Paribatra, l’aîné de ses neveux, le prince Ananda alors âgé de 9 ans, était le successeur de jure sinon de facto. Il est difficile de penser que cette visite fut exclusivement privée. Son père est mort à 57 ans, son frère et prédécesseur à 44 ans, son frère Mahidol est mort en 1929 à 37 ans. Le roi est de santé précaire, n’oublions pas que la cataracte fait peser sur celui qui en est victime le risque de devenir aveugle. Il est dans l’incapacité d’avoir un héritier et en 1934, il est âgé de  41 ans. Sa lucidité l’a-t-elle conduit à envisager au cas où il lui arrive malheur ou en celui d’une abdication qu’il avait peut-être déjà en tête, la seule solution possible pour éviter à son pays une chienlit (9), la transmission du pouvoir à son neveu ? (8) Pour ce faire, il fallait évidemment l’accord de celle qui est devenue depuis lors la « Reine mère ». Cette rencontre a-t-elle eu lieu ? Si oui, fut-elle familiale ou politique ? Rien ne nous permet de le dire et nous resterons donc dans le domaine des hypothèses plausibles. Il est une évidence, c’est qu’il n’est pas allé en Suisse pour étudier son système de démocratie, le plus démocratique en tous cas de l’Europe pour autant que ce mot ait un sens, recours aux « votations d’initiative populaire » ou démocratie directe dans certains cantons, celle qu’admirait Jean-Jacques Rousseau. Si cela était, le voyage en Suisse aurait été le plus important du périple.

 

***

 

Pour le reste, le roi a rencontré des monarques européens et d’anciens rois,  des chefs d'Etat et des chefs de gouvernement, des politiciens de tous bords en particulier en Italie et en Allemagne, en Angleterre le premier ministre Ramsay Mac Donald, des membres du Parlement des deux Chambres et des représentants de « différents partis politiques Il y rencontre également des « intellectuels »,  Somerset Maugham, HG Wells et Aldous Huxley. Il s’intéresse de toute évidence à la diversité des opinions politiques, sociales et culturelles des idées en Europe.

Il rencontre S.S. le Pape Pie IX à deux reprises au Vatican

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

et assiste à une cérémonie religieuse à la Basilique Saint-Pierre  pour exprimer son rôle constitutionnel de protecteur de toutes les religions tel qu’il est défini dans la constitution de 1932. Ses activités culturelles ne seront pas absentes, visites d'églises, de palais, opéras et concerts, galeries d'art et musées, stations thermales et tournois de tennis. Il fait naturellement un pèlerinage à son alma mater, l'Ecole Supérieure de Guerre en France, après Eton et Aldershot au Royaume-Uni. A Rome, c’est le prince héritier Humbert qui lui fait visiter les trésors de la ville éternelle mais il visite aussi l’Institut international du cinéma éducatif créé par Mussolini en 1928 avec la bénédiction de la SDN. Nous relevons aussi de nombreuses visites de sites industriels, de laboratoires, de stations agricoles, d’expositions de fleurs et de nombreuses autres entreprises, par exemple sa visite à la Société Skoda en Tchécoslovaquie.

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Telles sont ses activités lors de ce voyage de 1934 telles que narrées dans le fascicule publié sous l’égide de l’UNECO, intéressant peut être mais peut-être aussi un peu sommaire par omission ? Comment peut-on écrire « Sur le chemin, il a également fait des visites d'observation pour étudier divers modèles de démocratie pratiquée dans les différents pays… ». En 1934, le monde assiste à ce que tous les observateurs compétents (il est facile de les critiquer avec 80 ans de recul) au déclin sinon à l’écroulement apocalyptique des démocraties, le crépuscule des démocraties traditionnelles dont nul à l’époque n’a envisagé qu’il se terminerait en une apocalyptique catastrophe planétaire, l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité.

 

 

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

L’Italie ? Depuis 12 ans, le roi a proposée à Mussolini de prendre la tête du gouvernement selon les règles « démocratiques ». Il le gardera jusqu’en 1943 sous l’œil plus ou moins bienveillant du monarque. Quel conseil le Duce a-t-il pu donner au roi ?

 

 

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Si le roi n’a pas visité le Portugal, il sait tout au moins que depuis 1932 le docteur Salazar a été plus ou moins légalement appelé au pouvoir par le Président de la république, pouvoir qu’il conservera jusqu’en 1968, un cérébral  qui ne buvait pas, ne fumait pas, vivait dans une cellule monacale, était vêtu comme un clergyman et gai comme un pensionnat de jeunes filles… un dogmatique écrivant des pandectes, et certes pas un modèle pour le roi siamois.

 

 

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Il n’a pas visité l’Espagne non plus, en 1923, toujours avec plus ou moins l’onction du roi Alphonse XIII (l’ami de son père), le général Miguel Primo de Riviera dirige le pays d’une main de fer, fasciste monarchiste avant la lettre. Ayant du abandonner le pouvoir en 1930, la proclamation de la république espagnole entraîne le pays dans  un chaos meurtrier (nous avons parlé de chienlit) qui ne se terminera – après le coup d’état militaire du Général Franco le 18 juillet 1936 – que par une guerre civile de 3 ans, un million de morts et conduira à un régime catholico autoritaire sinon fasciste qui perdurera jusqu’en 1975.

Le roi est par contre allé en Allemagne, il y a peut-être fait du tourisme notamment à Bad-Hombourg, ville thermale de Hesse qui de tout temps accueillait les têtes couronnées, rendez-vous de l’aristocratie européenne et siège du palais d’été des rois de Prusse. Mais il y a rencontré le chancelier Hitler le 14 juillet 1934

 

Le chancelier salue  le roi à l’aéroport de Berlin avant son départ  le 14 juillet 1934, nous ne reconnaissons pas le modèle de l’avion ni les dignitaires en arrière plan :

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

et son ministre des affaires étrangères Konstantin Von Neurath.

 

Nous n’avons pas non plus reconnu les dignitaires qui entourent le couple royal et le ministre :

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Le roi a visité, simple courtoisie ou symbole ? Le 12 juillet la tombe du soldat inconnu allemand (10).

 

On reconnait à sa droite et ouvrant la marche (probablement) Wilhem Keitel :

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Que s’est il passé à cette date ?  Hitler a été appelé au pouvoir de façon (à peu près) démocratique en 1933. En février, le Bundesrath, la chambre haute qui prétendait lui résister, est dissoute, dans la nuit du 29 au 30 juin, Hitler s’est débarrassé (la « nuit des longs couteaux ») des opposants de sa vieille garde. Un mois plus tard, notre roi ne sera plus là, le vieux Maréchal-Président Hindenburg disparait de ce monde et Hitler se fait plébisciter comme Reichführer et président du Reich à la suite d'un référendum- plébiscite où il obtient 89 % des suffrages. Une belle leçon de démocratie pour notre roi-observateur !

 

Allons-donc dans un pays voisin et « démocratique », l’Autriche. Pour tenter d’échapper aux velléités annexionnistes de l’Allemagne, le chancelier Dolfuss instaure un véritable régime mussolinien. Il sera assassiné quelques jours après la rencontre de notre roi avec le chancelier Hitler (le 25 juillet).

 

Le roi a rencontré le Pape Pie XI devenu chef d’un état souverain au gouvernement autocratique, à la suite des accords du Latran passé avec Mussolini. A-t-il donné au roi siamois une leçon de démocratie ? Son opinion en la matière (11) rejoint celle de notre monarque (12). Ils partagent tous deux une opinion moins négative à l’égard de la démocratie qu’à l’égard des partis politiques, ce qui est une autre histoire.

 

La France ?

 

Le roi et la reine ont été accueillis au palais de l’Elysée par le président Lebrun.

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

C’est une triste année pour la politique française, affaire Stavisky, manifestations des ligues d’extrême droite qui ont été à deux doigts de faire basculer le régime le 6 février, restons en là. Cette année l), la France  ne connaîtra pas moins de trois gouvernements (Daladier, Doumergue et Flandin), encore un bel exemple des conséquences d’un « régime des partis ».

 

Car dans toute l’Europe, face au « péril rouge » s’agitent violement les mouvements d’extrême-droite, ligues fascistes toute plus ou moins soutenues et financées par ltalie. Elles sont nombreuses en France et leurs dissensions expliquent peut-être en grande partie l’échec de la manifestation du 6 février (13).

 

La Belgique, visitée par le couple royal, est un modèle de monarchie démocratique, le roi Albert, le « roi chevalier » est mort en février. Léopold III lui succède. Il doit faire face sans lui manifester une hostilité ouverte, au puissant mouvement « Rex » du tonitruant Léon Degrelle, ouvertement hitlérien, qui sous la bannière de sa croix bourguignonne n’a pas été loin de faire basculer le régime

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Des mouvements fascistes, il y en a dans toute l’Europe. Le roi s’est rendu au Danemark probablement pour y rencontrer le prince héritier Frédéric qui avait visité le Siam et avec lequel il s’était lié d’amitié mais les Danois ont aussi leur parti fasciste baptisé « parti national socialiste ». Les Roumains ont leur « garde de fer », les Norvégiens ont leur Quisling qui sera un temps premier ministre lors de l’invasion allemande, les Hollandais ont leur mouvement national socialiste de Mussert. Restons en là ; notre propos n’était pas d’écrire l’histoire des mouvements fascistes en Europe.

C’est apparemment en Angleterre que le roi a séjourné le plus longtemps et y a rencontré des personnalités politiques de tous bords. Les quelles ? Le prince héritier, futur Edouard VIII, qui, dès sa brève montée sur le trône en 1936 manifesta son intention plus ou moins avouée de régner et de gouverner. Il manifeste des sympathies fascisantes et une dilection marquée pour le régime allemand et par haine du bolchévisme. Il fut d’ailleurs en tant que Prince de Galles reçu fastueusement par le chancelier allemand.

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

Le prince suscite par ailleurs la feinte indignation des puritains anglais pour afficher une liaison avec Wallis Simson, une américaine en instance de divorce, ayant elle-même des sympathies affichées pour le régime allemand (14). Les anglais ont aussi leurs fascistes, les chemises noires d’Oswald Mosley (15). Le roi les a-t-il rencontrés ? (16).

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

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Nous nous posons en conclusions la question de savoir quel furent les raisons qui conduisirent le roi à ces voyages répétés ?

Obligation tout d’abord, ne serait-ce que pour suivre les instructions de son père qui lui dicte les conditions de son éducation à l’étranger ou de son frère qui lui dicte son trajet de retour en 1923. Obligation sinon nécessité pour tenter de résoudre ses problèmes de santé puisque nul alors au Siam n’a encore tenté la délicate opération des yeux pour éradiquer la cataracte. Intérêt politique aussi, le voyage en Indochine se situe peu après la convention franco-siamoise de 1926 qui règle définitivement la question frontalière entre le Siam et l’Indochine française.

Le voyage de 1934 est apparemment plus diplomatique tout en étant justifié par des raisons de santé. Pris entre les méandres de la politique intérieure siamoise, le souhait de préserver son trône mais pas au prix de n’importe quel abandon et aussi, il ne faut pas l’oublier, la crainte du péril rouge qui menace l’Europe et tout autant le Siam par l’intermédiaire de l’Indochine (tout ce que la colonie compte de communistes, indépendantistes, bolcheviks  ou nationalistes est peu ou prou réfugié sur la rive droite du Mékong), le roi a probablement eu des entretiens avec tous ces politiques dont malheureusement nous ignorons tout. A-t-il cherché des conseils pour éviter de perdre son trône ou était-ce un départ programmé vers une retraite paisible ? Etait-il guidé par le seul intérêt ? Selon la presse à ragots française (17), il est alors l’un des hommes les plus riches du monde possédant des intérêts dans toute l’Europe (essentiellement en Angleterre mais aussi en Allemagne et en Roumanie) dont il pouvait avoir de temps à autre aller surveiller la gestion ?

 

Mais dans aucun de ces voyages, nous l’avons vu, l’intérêt intellectuel ou culturel n’est absent quand il ne prédomine pas. Rencontrer Hitler, peut-être, cela ne l’empêche pas de visiter Bad Hombourg, rencontrer Mussolini probablement ne l’empêche pas de se faire guider dans une visite de Rome par le prince héritier.

 

***

Cette passion ne cessera pas : au printemps de l’année 1938, il entreprend avec son épouse et sa suite un merveilleux voyage, un séjour à Bandol après avoir visité les châteaux de la Loire, la cité de Carcassonne et les sites de la Provence romaine avant de rejoindre l’Italie (18). C’était évidemment un homme de goût.

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Notes

 

(1) voir notre article 149 « La visite du roi Chulalongkorn à Paris en 1897 vu par la presse française ».

 

(2) voir nos articles 148-1 et  148-2 « Le premier voyage du roi Chulalongkorn en Europe en 1897 », 150 « Un portrait du roi Chulalongkron en Europe », 151 « Introduction aux lettres du Roi Chulkalongkorn envoyées d’Europe en 1907 ».

 

(3) Citons le très précieux « 100th anniversary of King Prajadhipok of Siam's commencement of service in Thailand and anniversary of the 10th Asian cycle of his birth », fascicule publié par l’UNESCO à l’occasion du 100ème anniversaire de sa naissance (1993) d’où nous avons extrait la plupart des renseignements sur ces voyages, il est plein de références à des documents qui nous sont malheureusement inaccessibles, archives royales, archives de différentes ministères, archives et collections du Musée Rama VII. N’ayons garde d’oublier ce site merveilleux qui nous apprend l’histoire du Siam par la photographie même s’il est un « court » au niveau du texte et des explications : http://siamesevisions.blogspot.com/2011/05/king-prajadhipok-and-friends.html

 

(4) Voir notre article 180 « De l’enfance aux études en Europe et la vie au Siam du futur Rama VII (1893-1925) ».

 

(5) Privilège de l’élite aristocratique (les rois de France ne chassaient qu’à courre) celle-ci, l’anglaise plus encore que la française, considérait la chasse au chien d’arrêt et au fusil comme une activité de manants.

 

(6) « La presse » du 4 septembre. La station thermale qui concurrençait Vichy est depuis lors mise en sommeil. On y trouvait alors tout ce qui fait l’agrément du thermalisme bien compris, hôtels de luxe, Casino, champ de course.

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

(7) « Eveil économique de l’Indochine » du 20 avril 1930.

 

(8) Voir notre article 175 « La Loi du palais pour la succession royale en 1924 ».

 

(9) Nous utilisons le mot de « chienlit » à dessein puisque tel était le triste exemple que donnait l’Europe occidentale au monde en 1934 !  Notons toutefois que l’énorme ouvrage (450 pages) consacré à la jeunesse et à l’éducation à Lausanne des deux enfants et futurs rois du Prince Mahidol ne souffle mot de cette visite (« พระบาทสมเด็จพระเจ้าอยู่ห้วๆ รัชกาลที่ ๙ แลเจ้านายไทยฬนโลซานน์ » chez Slatkine à Genève, 2012 ISBN 978 2 8321 0539 9).

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

(10) Ce monument est ensuite devenu le monument « aux victimes du fascisme et du militarisme » puis un monument « aux victimes de la guerre et de la tyrannie » après la chute du mur mais s’appelle toujours Neue Wache (« Nouvelle garde »).

 

 

 

 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

(11) « Dans le domaine de la politique, les partis se sont presque fait une loi non point de chercher sincèrement le bien commun par une émulation mutuelle et dans la variété de leurs opinions, mais de servir leurs propres intérêts au détriment des autres. Que voyons-nous alors ? Les conjurations se multiplient : embûches, brigandages contre les citoyens et les fonctionnaires publics eux-mêmes, terrorisme et menaces, révoltes ouvertes et autres excès de même genre [...]. » in Encyclique « Ubi arcano Dei consilio », en date du 23 décembre 1922

 

(12) L’opinion royale était alors dépourvue de toute équivoque : « Le Siam n’a reçu une Constitution que tout récemment et l’existence de partis politiques siamois semble prématurée. La population de notre pays n’est pas encore adaptée à la forme démocratique de gouvernement et elle ne comprend pas sa véritable nature. Constatant l’existence de partis politiques rivaux, elle risquerait d’interpréter l’idée de façon erronée et de considérer qu’il s’agit de groupes rivaux luttant pour le pouvoir politique. Une pareille erreur d’interprétation peut en fin de compte créer des malentendus qui risquent de susciter des désordres publics, ou tout au moins de la défiance et de la crainte dans l’esprit du public, ce qui extrêmement peu souhaitable. (…) Les partis politiques ne pourront véritablement présenter des avantages pour le peuple que lorsque le peuple lui-même pourra comprendre les principes de la forme démocratique du gouvernement. Je suis donc d’avis que, pour l’instant, il n’y ait absolument aucun parti politique. », cité par Fistié, p. 136,  in « L’évolution de la Thaïlande contemporaine », Armand Colin, 1967 citant lui-même Kukrit Pramoj.

 

(13) les dogmatiques de Charles Maurras, père spirituel de tous les fascismes européens, des associations d’anciens combattants, les Croix de Feu du colonel de La Rocque, les prolétarien de Jacques Doriot, les activistes de la Cagoule et bien d’autres encore.

 

(14) La malveillante chronique mondaine britannique lui prête d’avoir eu Ribbentrop comme amant lorsque celui-ci était ambassadeur à Londres ?

 

(15) Fascistes distingués, certes, chapeau melon, parapluie, Rolls Royce et Bentley mais qui furent à deux doigts de prendre les armes pour s’opposer à l’abdication d’Edouard VIII. Celui-ci eu néanmoins la sagesse d’abdiquer ce qui évita peut-être à l’Angleterre une guerre civile comme elle venait d’éclater en Espagne ?

 

(16) Il est communément admis que la liaison d’Edouard VIII avec Miss Simson qu’il voulait épouser, fut la cause des manœuvres du gouvernement britannique pour l’écarter du trône, en sa qualité de chef de l’église anglicane. C’est une explication destinée à « faire pleurer Margot », le roi abandonnant son trône par amour. Hypocrisie toute britannique puisque le schisme anglican est né du simple désir du roi Henry VIII de divorcer religieusement de son épouse et du refus que lui opposa le Pape, il se fit donc Pape lui-même pour prononcer son divorce. Ce ne fut qu’une excuse pour écarter du trône un monarque trop germanophile au goût du monde politique et ayant l’intention marquée d’intervenir activement dans la politique extérieure notamment, ce qui disconvenait au microcosme politique. Son frère devenu le roi Georges VI, lourdement handicapé par un bégaiement maladif et peut-être plus encore, ne sera pas un mauvais roi puisqu’un un parfait soliveau entre les mains des premiers ministres. 

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.

"NotreL'amour d'Edward pour Wallis et son obstination à vouloir épouser une divorcée ont été instrumentalisés pour l'éloigner du trône : Le gouvernement britannique cherchait en fait une excuse pour écarter un couple qui avait beaucoup trop de sympathie pour l’Allemagne nazie.

 

La photo qui fit scandale :

183. Le roi Rama VII, un grand voyageur.
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Les Souverains du Siam visitent longuement les usines Citroën<br /> <br /> Le roi et la reine de Siam, dont le séjour dans<br /> notre capitale prendra fin demain, à midi, ont<br /> consacré leur dernière, journée à visiter en détail<br /> les usines Citroën de la région parisienne, ainsi<br /> que le musée des expéditions Citroën Centre-<br /> Afrique et Centre-Asie. M. et Mme André Citroën<br /> reçurent L.L. M-M., et la visite, qui commença<br /> de très bonne heure, se déroula dans l'ordre<br /> suivant : Les forges et les fonderies de Clichy,<br /> les ateliers d'emboutissage de Saint-Ouen,<br /> les ateliers d'usinage et de montage de Javel,<br /> enfin les ateliers de carrosserie et les chaînes<br /> de montage de la 7, voiture dont la conception<br /> si nouvelle intéressa tout particulièrement<br /> les souverains. Au cours de cette visite, le roi<br /> et la reine ne purent s'empêcher, à plusieurs<br /> reprises, d'exprimer leur admiration pour<br /> la vie intense qui se dégage des ateliers où<br /> 25 000 ouvriers travaillent avec ardeur à<br /> assurer la production maximum que l'usine ait<br /> jamais réalisé. Avant de quitter l'usine, S. M.<br /> Prajadhipok commanda pour lui et pour la reine<br /> deux 7 CV destinées à leur usage personnel, et<br /> qu’ils comptent utiliser dès à présent pendant<br /> les quelques semaines qu'ils passent encore<br /> en Europe. La visite fut suivie d'un déjeuner<br /> chez M. et Mme Citroën, déjeuner présidé par<br /> L.L. M.M., auquel assistèrent leur suite et les<br /> principaux collaborateurs des usines. Le roi et<br /> la reine se rendirent ensuite au musée Citroën,<br /> où le roi, après avoir contemplé longuement les<br /> souvenirs rapportés par les missions d'Afrique<br /> et d'Asie, s'intéressa vivement aux documents archéologiques et aux nombreuses antiquités<br /> indochinoises de l'art khmer, sur lequel le<br /> souverain possède une vaste érudition. De<br /> semblables visites sont bien faites pour faire saisir<br /> à nos hôtes le vrai visage de notre pays. À côté des<br /> trésors artistiques que nous a légué un glorieux<br /> passé, il convient aussi de montrer la France au<br /> travail et la journée d'hier a certainement prouvé<br /> aux souverains du Siam que notre laborieux<br /> pays possède des installations industrielles qui<br /> ne le cèdent en rien aux plus belles et aux plus<br /> modernes du monde...<br /> L'action Française, 25 avril 1934.<br /> <br /> <br /> PHOTOS A DISPOSITION SUR SIMPLE DEMANDE
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G
Un grand merci pour cette référence qui est bien du style de l’époque et de celui, inimitable, de l’AF !<br />