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Bernard, retraité, marié avec une femme de l'Isan, souhaite partager ses découvertes de la Thaïlande et de l'Isan à travers la Grande Histoire et ses petites histoires, culturelles, politiques,sociales ...et de l'actualité. Alain, après une collaboration amicale de 10 ans, a pris une retraite méritée.

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

6. Les exploits de l’enseigne Mazeran et les déboires du lieutenant de vaisseau Jacquemart et de l’enseigne de vaisseau Lesterre, avec  la fin de la canonnière La Grandière en 1910.

Nous avions dans notre précédent épisode suivi avec  le livre de Luc Lacroze  « Les grands pionniers du MékongUne cinquantaine d’années d’aventures. (1884-1935) », les exploits de l’enseigne de vaisseau Simon, qui avec  la canonnière La Grandière avait pour la première fois pu atteindre Luang Prabang le  1er septembre 1895, en partant de Vientiane, puis avait poursuivi sa mission le 11 octobre pour arriver à Tang Ho le 25 octobre 1895. « Simon, avions-nous dit, aurait bien voulu aller au-delà, malgré les ordres du ministre, mais il constata très vite qu’après Tang Ho, le Mékong n’était plus un fleuve, mais « un torrent qui tombait en cascades sur un parcours de huit à dix kilomètres ». Il dut alors renoncer. Après un congé en France, « il sollicitera  sa mise en congé sans solde à compter du 20 août pour servir à la Compagnie des Messageries Fluviales de Cochinchine. » 

 

Vue de la rue principale de Luang Prabang, photo prise par Simon :

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

La canonnière le Massie, quant-à elle,  poursuivra une mission jugée inutile par les autorités entre Savannaket et Vientiane, et sera désarmée et cédée à la Compagnie des Messageries le 1er novembre 1897, pour devenir « une chaloupe ordinaire, transportant poste, voyageurs et marchandises », mais le La Grandière n’avait pas fini ses exploits, mais cette fois avec le jeune enseigne de vaisseau Mazeran qui prendra ses fonctions en avril 1896. »

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Les exploits de l’enseigne Mazeran avec la canonnière La Grandière.

Le 1er novembre 1896, Mazeran, après sept mois de sa prise de fonction, envoie un long rapport au gouverneur général Paul Doumer, qu’il transmet avec son appui aux ministres concernés. Ce rapport est un programme d’action, qui s’appuie sur ses propres observations effectuées avec la canonnière ou en pirogue de Xieng Sen à Tang ho (en réalité le Tang Noï et le Tang Luong), qui remet en question l’invulnérabilité du Tang Ho. Après  la description du rapide, il dit avoir découvert un petit couloir, que l’on pourrait dégager avec le fulmi-coton et de la dynamite. Mais surtout, il envisage de monter jusqu’à Xieng Houng (l’actuel Jing Hong), malgré les signes de fatigue observés sur le La Grandière. Il en donne bien sûr les raisons.

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

Vue du Mékong à Xieng Sen (Chiang Saen) :

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Un nouvel enjeu dans la rivalité franco-britannique : le Xieng Houng.

Nous avions raconté précédemment comment Simon avait voulu atteindre la principauté de Xieng Kheng, petite ville des Etats Shan passée sous la domination britannique après l’annexion en 1885 de la haute Birmanie, malgré les ordres de Paris. Il avait dû renoncer, ne pouvant aller au-delà de Tang Ho, mais finalement la  convention Salisbury- de Courcelle du 15 janvier 1896, reconnaissait l’influence de la France sur la région de Muong Sing et le Mékong comme frontière entre les Etats Shan et l’Indochine.

Il s’agissait cette fois-ci pour Mazeran d’aller encore plus en amont,  et de tenter d’atteindre Xieng Houng avec la canonnière La Grandière.

 

Xieng Houng (Jinghong) est situé à 21° 59' nord et 100° 49' est :

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

Mais que représente Xieng Houng ?

Xieng Houng est la capitale d’une fédération, en principe indépendante, « de 12 districts -les sip song panna-, répartis sur les deux rives du Mékong. Les sept de la rive gauche payaient tribut à la Chine, et ceux de la rive droite à la cour birmane d’Ava. 

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Elle constituait, disait Mazeran dans son rapport, «  la dernière étape de notre marche vers le Yunnan. » L’enjeu était clair : « L’arrivée de la canonnière à Xieng Houng nous donnerait des droits puissants pour l’occupation future de ce pays par la France. Si nous ne nous dépêchons pas, nous trouverons la place prise par les Anglais. »

Mais ce projet ouvrait une nouvelle page de la rivalité franco-anglaise.

Une nouvelle alors circula, qui signalait l’arrivée prochaine de 400 gourkhas et de pièces d’artillerie à Xieng Houng, qui aurait pu justifier l’urgence de la mission de Mazeran.

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On vit alors un balai diplomatique entre le commandant supérieur du Laos, le gouverneur général, le ministre des colonies, le ministre des affaires étrangères, l’ambassadeur l’ambassadeur français à Pékin, le consul à Samao, qui aboutit finalement à une note du 21 avril 1897 du ministre des affaires étrangères adressée à son collègue ministre des Colonies qui exprimait un doute sur cette expédition anglaise contre les Sip Song Penna.

Toujours est-il que dès le 20 mai, l’enseigne Mazeran, faisant fi des doutes exprimés, décide de  monter de Xieng Sen à Tang Ho, en franchissant une quinzaine de rapides, où il est obligé de rester deux mois à cause des eaux trop basses. Il effectuera alors des reconnaissances en pirogue et sera étonné de rencontrer moins de difficultés qu’en 1896. 

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Le 19 juillet, il appareillait de Tang Ho avec pour objectif d’atteindre Xieng Kok et Xieng Lap ensuite situé 20 km en amont, d’où il attendrait les ordres du gouvernement. Mais il fallait pour cela pouvoir passer l’« infranchissable » Tang Ho, et les rapides qui suivent comme le Tang loi, le Tang PhaKheng, le Tang Sen Phi, le Tang Pang, puis le Tang TsaLam, le Tang leui.

Mazeran en fera le récit, et racontera comment plusieurs fois il risquera la mort. Ainsi, par exemple s’il franchit sans difficulté le Tang Ho, passe le Tang Ho Luong avec guère plus de 6,5 kilos de pression, la canonnière va toucher des roches dans le petit rapide du Tang Lot et y cassera son gouvernail. Il faudra 10 jours pour le réparer, avant de repartir le 31 juillet et attaquer le Tang PakKeng que Mareran redoute. Il y vivra une situation critique avec un tronc d’arbre dans l’hélice qui stoppera la machine, deux hommes qui se jetteront à l’eau pour y remédier,  une ancre qui cédera, l’autre qui tiendra, et le sentiment de l’avoir échappé belle. En fin de matinée, les redoutables Tang Sam  Sao et PhaPhouKhao seront franchis sans difficulté. L’équipage se reposera le lendemain 1er août devant le village de Paleo, un gros village de la rive droite. 

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

Il fallait affronter ensuite le terrible Tang Pang, le dernier obstacle avant Xieng Kok, composé en fait de cinq rapides, et qui constituaient pour Mazeran «  à part les chutes de khône, jamais le Mékong n’avait présenté d’obstacle aussi terrible, aussi dangereux pour un navire de la force de la Grandière. »

Ils repartirent le 2 août, mais une reconnaissance en pirogue constata le manque d’eau et ils durent attendre jusqu’au 6 août, avant de se lancer en ayant soin d’envoyer deux pirogues en avant pour prêter secours en cas d’accident. Ils auront au 3 ème rapide le sentiment d’avoir échappé à la mort pour la 3ème fois depuis Tang Ho, après avoir vu la canonnière perdre sa pression, s’immobiliser, ne pouvant plus avancer, amorcer un léger recul, et sur un effort de la chauffe, pouvoir enfin avancer. Ouf, ils étaient passés, encore une fois, et atteindront Xieng Kok et Xieng Lap.

Ils devront toutefois attendre presque trois mois avant de recevoir fin octobre 1897, les ordres  de Paris. Paris a été surpris d’apprendre par Paul Doumer, le gouverneur général, que La Grandière est à Xieng Lap. 

A174. Les dernières missions de la canonnière la Grandière sur le Mékong (1896- 1910)

Si Paris remarque l’exploit, il n’apprécie pas d’avoir été mis devant le fait accompli. Aussi après un échange de messages, le ministre des colonies adressera le 25 octobre 1897, un ordre formel et sur un ton vigoureux au gouverneur général :

« Interdisez La Grandière dépasser frontière avant que vous ayez reçu autorisation expresse du gouvernement, que rien ne parait motiver actuellement ».

C’en était fini de l’ambition de Mazeran, qui restera encore près de  5 mois sur le La Grandière dans le petit bief Xieng Kok-Xieng Lap, avant d’être remplacé le 1er février 1898 par le lieutenant de vaisseau Jacquemart.

Xieng Kok

Xieng Kok

Xieng Lap

Xieng Lap

L’ère des pionniers était terminée quand le lieutenant de vaisseau Jacquemart prend ses fonctions sur La Grandière en juin 1898.

Il restera trois années jusqu’ au 3 mars 1901, quand il quittera alors Xieng Kok, pour Saïgon, où il  rédigera son rapport du 10 mai au 15 juin 1901.

Il y racontera ses déboires, ses problèmes de personnel, ses attentes pour voir compléter son équipage européen, comme le quartier-maître mécanicien, pourtant si indispensable qui n’arrivera que le 15 avril 1900, malgré la demande exprimée par son prédécesseur en avril 1898.Il critiquera la politique menée par les administrateurs, qui occasionneront des rapports tendus avec le résident de Muong Sing, le résident supérieur Tournier à Vientiane. Il eut surtout le sentiment de son inutilité, surtout quand par exemple, ayant obtenu de pouvoir descendre à LuangPrabang afin d’étudier la navigabilité du Mékong, il se voit refuser l’atlas du fleuve dressé par ses prédécesseurs, ou bien encore, quand à peine arrivé à LuangPrabang (19 octobre 1900) il reçoit l’ordre de Paul Doumer du 26 novembre de retourner à Xieng Kok. Bref, il ne vit d’issue qu’en demandant sa relève qui lui fut accordée. Il quitta Xieng Kok le 3 mars 1901, sans remplaçant.

Le La Grandière avait peu navigué pendant son séjour et même avait été mis deux saisons sèches en cale sèche.

 Le nouveau commandant de La Grandière, l’enseigne de vaisseau Lesterre, ne sera désigné qu’en septembre 1901. Lacroze dira peu sur sa mission, si ce n’est qu’elle fut assez imprécise et que Lesterre bénéficia de l’appui de Paul Doumer le 16 octobre 1902, pour être mis sur le tableau d’avancement, pour « un dangereux voyage en amont de Xieng Kok avec le La Grandière, en vue de se rapprocher de la frontière chinoise. » Nous n’en saurons pas plus.

Le temps des pionniers officiers de marine  était terminé.

« Le La Grandière redescendra à Vientiane aux hautes eaux de 1903. Elle y sera désarmée puis cédée aux Messageries, comme l’avait été sept ans auparavant le Massie. » Après un rajeunissement, elle fera plusieurs voyages de Vientiane à LuangPrabang. « Le 10 juillet 1910, en descendant le fleuve, La Grandière coulera avec ses passagers dans le Keng Luong, qu’elle avait franchi pour la première fois quinze ans plus tôt, le 30 août 1895, aux ordres du lieutenant de vaisseau Simon. »

Que d’aventures, d’exploits pour arriver à un bilan que Lacroze juge remarquable :

« Vers 1898, un voyageur mettait entre 65 et 80 jours pour aller de Saïgon à LuangPrabang, au prix de douze à quinze transbordements. Il ne mettait plus en 1924 que de 43 à 45 jours ; le nombre de transbordements est sensiblement le même. Vers 1935, la durée du voyage était réduite à 35 ou 37 jours et le nombre de transbordements à sept ou huit. La durée du trajet a donc été pratiquement réduite de moitié et le confort s’est considérablement accru. Les trois quarts du parcours –en durée- s’effectuaient en pirogue en 1898 ;  le voyage se fera en totalité en chaloupe ou en piromoteur en 1935. » Mais le transport des marchandises sera aussi lent qu’il y a 50 ans.

Bref, le Mékong ne constituait pas la bonne voie commerciale pour désenclaver le Laos, telle que l’avaient rêvé les pionniers du Mékong. Et la route l’emportera sur le fleuve. (Cf. ch. 22) Mais que d’aventures, d’expéditions pour arriver à ce constat.

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Merci M. Luc Lacroze de nous avoir fait connaître ces pionniers, ces aventuriers du Mékong. Nous ne pouvons que renvoyer nos lecteurs à votre livre : 

« Les grands pionniers du Mékong. Une cinquantaine d’années d’aventures. (1884-1935) » (L’Harmattan, 1996)

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